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feu supérieur à celui de notre art ? Devons-nous donc être surpris de ne pouvoir rompre leur union, et doit-on faire un métal nouveau, propre et particulier, une substance simple, d’une matière qui est évidemment mixte, d’un composé formé par accident en deux seuls lieux de la terre, d’un composé qui présente à la fois la densité de l’or et le magnétisme du fer, d’une substance, en un mot, qui a tous les caractères de l’alliage et aucun de ceux d’un métal pur ?

Mais, comme les alliages faits par la nature sont encore du ressort de l’histoire naturelle, nous croyons devoir, comme nous l’avons fait pour les métaux, donner ici les principales propriétés du platine : quoique très dense, il est très peu ductile, presque infusible sans addition, si fixe au feu qu’il n’y perd rien ou presque rien de son poids, inaltérable et résistant à l’action des éléments humides, indissoluble comme l’or, dans tous les acides simples[1], et se laissant dissoudre, comme lui, par la double puissance des acides nitreux et marin réunis.

L’or mêlé avec le plomb le rend aigre, le platine produit le même effet ; mais on a prétendu qu’il ne se séparait pas en entier du plomb comme l’or, dans la coupelle, au plus grand feu de nos fourneaux ; dès lors, le plomb adhère plus fortement au platine que l’or dont il se sépare en entier, ou presque en entier[2] : on peut même reconnaître, par l’aug-

  1. M. Tillet, l’un de nos plus savants académiciens et très exact observateur, a reconnu que, quoique le platine soit indissoluble en lui-même par les acides simples, il se dissout néanmoins par l’acide nitreux pur, lorsqu’il est allié avec de l’argent et de l’or. Voici la note qu’il a bien voulu me communiquer à ce sujet : « J’ai annoncé dans les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1779, que le platine, soit brut, soit rendu ductile par les procédés connus, est dissoluble dans l’acide nitreux pur, lorsqu’il est allié avec une certaine quantité d’or et d’argent. Afin que cet alliage soit complet, il faut le faire par le moyen de la coupelle, et en employant une quantité convenable de plomb. On traite alors, par la voie du départ, le bouton composé de trois métaux, comme un mélange simple d’or et d’argent ; la dissolution de l’argent et du platine est complète, la liqueur est transparente, et il ne reste que l’or au fond du matras, soit dans un état de division si on a mis beaucoup d’argent, soit en forme de cornet bien conservé si on n’a mis que trois ou quatre parties d’argent égales à celles de l’or. Il est vrai que, si on emploie trop de platine dans cette opération, l’or mêlé avec lui le défend un peu des attaques de l’acide nitreux, et il en conserve quelques parties. Il faut un mélange parfait des trois métaux pour que l’opération réussisse complètement : s’il se trouve quelques parties dans l’alliage, où il n’y a pas assez d’argent pour que la dissolution ait lieu, le platine résiste, comme l’or, à l’acide et reste avec lui dans le précipité ; mais, si on ne met dans l’alliage qu’un douzième de platine, ou, encore mieux, un vingt-quatrième de l’or qu’on emploie, alors on parvient à dissoudre le total du platine, et l’or mis en expérience ne conserve exactement que son poids. Il n’en est pas ainsi d’un alliage dans lequel il n’entre que de l’argent et du platine : la dissolution n’en est proprement une que pour l’argent ; la liqueur reste trouble et noirâtre, malgré une longue et forte ébullition ; il se fait un précipité noir et abondant au fond du matras, qui n’est que du platine réduit en poudre et subdivisé en une infinité de particules, comme il l’était dans l’argent avant qu’il fût dissous. Cependant, si on laisse reposer la liqueur pendant quelques jours, elle s’éclaircit et devient d’une couleur brune, qu’elle doit sans doute à quelques parties du platine qu’elle a dissoutes, ou qu’elle tient en suspension. Il paraît donc que, dans cette opération, c’est à la présence seule de l’or qu’est due la dissolution réelle et assez prompte du platine par l’acide nitreux pur ; que l’argent ne contribue qu’indirectement à cette dissolution ; qu’il la facilite à la vérité, mais que, sans l’or, il ne sert qu’à procurer une division mécanique du platine, et encore cette division n’a-t-elle lieu que parce que l’argent dissous lui-même ne peut plus conserver le platine subdivisé, avec lequel il faisait corps. »
  2. « L’or le plus pur ne se sépare jamais parfaitement du plomb dans la coupelle : si vous faites passer un gros d’or fin à la coupelle dans une quantité quelconque de plomb, le