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On fait grand usage en médecine des préparations de l’antimoine, quoiqu’on l’ait d’abord regardé comme poison, plutôt que comme remède. Ce minéral, pris dans sa mine et tel que la nature le produit, n’a que peu ou point de propriétés actives ; elles ne sont pas même développées après sa fonte en antimoine cru, parce qu’il est encore enveloppé de son soufre, mais, dès qu’il est dégagé par la calcination ou la vitrification, ses qualités se manifestent ; la chaux, le foie et le verre d’antimoine sont tous de puissants émétiques ; la chaux est même un violent purgatif, et le régule se laisse attaquer par tous les sels et par les huiles ; l’alcali dissout l’antimoine cru, tant par la voie sèche que par la voie humide, et le kermès minéral se tire de cette dissolution ; toutes les substances salines ou huileuses développent dans l’antimoine les vertus émétiques, ce qui semble indiquer que ce régule n’est pas un demi-métal pur, et qu’il est combiné avec une matière saline qui lui donne cette propriété active, d’où l’on peut aussi inférer que le foie de soufre a souvent eu part à sa minéralisation.


DU BISMUTH OU ÉTAIN DE GLACE

Dans le règne minéral, rien ne se ressemble plus que le régule d’antimoine et le bismuth par la structure de leur substance. Ils sont intérieurement composés de lames minces d’une texture et d’une figure semblables, et appliquées de même les unes contre les autres ; néanmoins le régule d’antimoine n’est qu’un produit de l’art, et le bismuth est une production de la nature : tous deux, lorsqu’on les fond avec le soufre, perdent leur structure en lames minces et prennent la forme d’aiguilles appliquées les unes sur les autres ; mais il est vrai que le cinabre du mercure, et la plupart des autres substances dans lesquelles le soufre se combine, prennent également cette forme aiguillée, parce que c’est la forme propre du soufre, qui se cristallise toujours en aiguilles.

Le bismuth se trouve presque toujours pur dans le sein de la terre : il n’est pas d’un blanc aussi éclatant que le blanc du régule d’antimoine ; il est un peu jaunâtre, et il prend une teinte rougeâtre et des nuances irisées par l’impression de l’air.

Ce demi-métal est plus pesant que le cuivre, le fer et l’étain[1] ; et, malgré sa grande densité, le bismuth est sans ductilité ; il a même moins de ténacité que le plomb, ou plutôt il n’en a point du tout, car il est très cassant et presque aussi friable qu’une matière qui ne serait pas métallique.

De tous les métaux et demi-métaux, le bismuth est le plus fusible ; il lui faut moins de chaleur qu’à l’étain, et il communique de la fusibilité à tous les métaux avec lesquels on veut l’unir par la fusion : l’alliage le plus fusible que l’on connaisse est, suivant M. Darcet, de huit parties de bismuth, cinq de plomb et trois d’étain[2], et l’on a observé que ce mélange se fondait dans l’eau bouillante, et même à quelques degrés de chaleur au-dessous.

Exposé à l’action du feu, le bismuth se volatilise en partie et donne des fleurs comme le zinc, et la portion qui ne se volatilise pas se calcine à peu près comme le plomb ; cette chaux de bismuth, prise intérieurement, produit les mêmes mauvais effets que celle du

  1. La pesanteur spécifique du bismuth natif est de 90 202 ; celle du régule du bismuth de 90 227, tandis que la pesanteur spécifique du cuivre passé à la filière, c’est-à-dire du cuivre le plus comprimé, n’est que de 88 785. Voyez la Table de M. Brisson.
  2. La fusibilité de cet alliage est telle, que le composé qui en résulte se fond et devient coulant comme du mercure, non seulement dans l’eau bouillante, mais même au bain-marie. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Alliage.