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vation. Le mercure, dans cet état de pommade ou d’union avec la graisse, a donc une très grande affinité avec les substances vivantes, et son action paraît cesser avec la vie ; elle dépend, d’une part, de la chaleur et du mouvement des fluides du corps, et, d’autre part, de l’extrême division de ses parties, qui, quoique très pesantes en elles-mêmes, peuvent, dans cet état de petitesse extrême, nager avec le sang, et même y surnager, comme il surnage les acides dans sa dissolution en formant une pellicule au-dessus de la liqueur dissolvante. Je ne vois donc pas qu’il soit nécessaire de supposer au mercure un état salin pour rendre raison de ses effets dans les corps animés, puisque son extrême division suffit pour les produire, sans addition d’aucune autre matière étrangère que celle de la graisse qui en a divisé les parties et leur a communiqué son affinité avec les substances animales ; car le mercure en masse coulante, et même en cinabre, appliqué sur le corps ou pris intérieurement, ne produit aucun effet sensible, et ne devient nuisible que quand il est réduit en vapeurs par le feu ou divisé en particules infiniment petites par les substances qui, comme les graisses, peuvent rompre les liens de l’attraction réciproque de ses parties.


DE L’ANTIMOINE

De même que le mercure est plutôt une eau métallique qu’un métal, l’antimoine et les autres substances auxquelles on a donné le nom de demi-métaux ne sont, dans la réalité, que des terres métalliques, et non pas des métaux. L’antimoine, dans sa mine, est uni aux principes du soufre et les contient en grande quantité, comme le mercure dans sa mine est de même abondamment mêlé avec le soufre et l’alcali : il a donc pu se former, comme le cinabre, par l’intermède du foie de soufre dans les terres calcaires et limoneuses qui contiennent de l’alcali, et en général, il me paraît que le foie de soufre a souvent aidé, plus qu’aucun autre agent, à la minéralisation de tous les métaux ; de plus, l’antimoine et le cinabre, quoique si différents en apparence, ont néanmoins plusieurs rapports ensemble et une grande tendance à s’unir. L’esprit de sel a autant d’affinité avec le mercure qu’avec le régule d’antimoine. D’ailleurs, quoique le cinabre diffère beaucoup de l’antimoine cru par la densité[1], ils se ressemblent par la quantité de soufre qu’ils contiennent ; et cette quantité de soufre est même plus grande dans l’antimoine, relativement à son régule, que dans le cinabre, relativement au mercure coulant. L’antimoine cru contient ordinairement plus d’un tiers de parties sulfureuses sur moins de deux tiers de parties qu’on appelle métalliques, quoiqu’elles ne se réduisent point en métal, mais en un simple régule auquel on ne peut donner ni la ductilité ni la fixité qui sont deux propriétés essentielles aux métaux ; la plupart des mines d’antimoine, ainsi que celles de cinabre, se trouvent donc également dans les montagnes à couches, mais quelques-unes gisent aussi comme les galènes de plomb dans les fentes du quartz en état pyriteux, ce qui leur est commun avec plusieurs minerais formés secondairement par l’action des principes minéralisateurs : aussi les gangues qui accompagnent le minerai de l’antimoine sont-elles de diverse nature, selon la position de la mine dans des couches de matières différentes ; ce sont ou des pierres vitreuses et schisteuses[2], ou des terres argileuses, calcaires, etc., et il est toujours aisé d’en séparer

  1. La pesanteur spécifique de l’antimoine cru est de 40 643, et celle du régule d’antimoine est de 67 021 ; et de même la pesanteur spécifique du cinabre est de 102 185, et celle du mercure coulant est de 135 681.
  2. Les mines d’antimoine d’Erbias, dans le Limousin, sont dans des masses de pierres schisteuses et vitrescibles. (Note communiquée par M. de Grignon, en octobre 1782.)