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même être que dans les terres grasses et chargées des principes du soufre par la décomposition des pyrites, qu’on pourra se permettre de le chercher avec quelque espérance de succès.

Cependant plusieurs artistes, qui même ne sont pas alchimistes, prétendent avoir tiré du mercure de quelques substances métalliques, car nous ne parlerons pas du prétendu mercure des prétendus philosophes, qu’ils disent être plus pesant, moins volatil, plus pénétrant, plus adhérent aux métaux que le mercure ordinaire, et qui leur sert de base comme fluide ou solide : ce mercure philosophique n’est qu’un être d’opinion, un être dont l’existence n’est fondée que sur l’idée assez spécieuse que le fonds de tous les métaux est une matière commune, une terre que Beccher a nommée terre mercurielle, et que les autres alchimistes ont regardée comme la base des métaux. Or il me paraît qu’en retranchant l’excès de ces idées, et les examinant sans préjugés, elles sont aussi fondées que celles de quelques autres actuellement adoptées dans la chimie : ces êtres d’opinion, dont on fait des principes, portent également sur l’observation de plusieurs qualités communes qu’on voudrait expliquer par un même agent doué d’une propriété générale ; or, comme les métaux ont évidemment plusieurs qualités communes, il n’est pas déraisonnable de chercher quelle peut être la substance active ou passive qui, se trouvant également dans tous les métaux[NdÉ 1], sert de base générale à leurs propriétés communes ; on peut même donner un nom à cet être idéal pour pouvoir en parler et s’entendre sur ses propriétés supposées ; c’est là tout ce qu’on doit se permettre ; le reste est un excès, une source d’erreurs, dont la plus grande est de regarder ces êtres d’opinion comme réellement existants, et de les donner pour des substances matérielles, tandis qu’ils ne représentent que par abstraction des qualités communes de ces substances.

Nous avons présenté, dans nos Suppléments, la grande division des matières qui composent le globe de la terre : la première classe contient la matière vitreuse fondue par le feu ; la seconde, les matières calcaires formées par les eaux ; la troisième, la terre végétale provenant du détriment des végétaux et des animaux ; or, il ne paraît pas que les métaux soient expressément compris dans ces trois classes, car ils n’ont pas été réduits en verre par le feu primitif ; ils tirent encore moins leur origine des substances calcaires ou de la terre végétale. On doit donc les considérer comme faisant une classe à part, et certainement ils sont composés d’une matière plus dense que celle de toutes les autres substances : or, quelle est cette matière si dense ? Est-ce une terre solide, comme leur dureté l’indique ? est-ce un liquide pesant, comme leur affinité avec le mercure semble aussi l’indiquer ? est-ce un composé de solide et de liquide tel que la prétendue terre mercurielle ? ou plutôt n’est-ce pas une matière semblable aux autres matières vitreuses, et qui n’en diffère essentiellement que par sa densité et sa volatilité ? car on peut aussi la réduire en verre. D’ailleurs les métaux, dans leur état de nature primitive, sont mêlés et incorporés dans les matières vitreuses ; ils ont seuls la propriété de donner au verre des couleurs fixes que le feu même ne peut changer : il me paraît donc que les parties les plus denses de la matière terrestre étant douées, relativement à leur volume, d’une plus forte attraction réciproque, elles se sont, par cette raison, séparées des autres et réunies entre elles sous un plus petit volume ; la substance des métaux, prise en général, ne présente donc qu’un seul but à nos recherches, qui serait de trouver, s’il est possible, les moyens d’augmenter la densité de la matière vitreuse, au point d’en faire un métal, ou seulement d’augmenter celle des métaux qu’on appelle imparfaits, autant qu’il serait nécessaire pour leur donner la pesanteur de l’or ; ce but est peut-être placé au delà des limites de la puissance de notre art, mais au moins il n’est pas absolument chimérique, puisque nous avons déjà reconnu une augmentation considérable de pesanteur spécifique dans plusieurs alliages métalliques.

  1. Ici encore, Buffon se montre préoccupé de l’idée de l’unité de la matière.