Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvée beaucoup plus forte qu’on ne pourrait l’imaginer : cette expérience prouve encore, comme je l’ai dit à l’article de l’étain, qu’il y a, entre la feuille d’étain et la glace, une couche de mercure pur, vif et sans mélange d’aucune partie d’étain, et que cette couche de mercure coulant n’est adhérente à la glace que par simple contact.

Le mercure ne s’unit donc pas plus avec le verre qu’avec aucune autre matière terreuse ; mais il s’amalgame avec la plupart des substances métalliques ; cette union par amalgame est une humectation qui se fait souvent à froid et sans produire de chaleur ni d’effervescence, comme cela arrive dans les dissolutions ; c’est une opération moyenne entre l’alliage et la dissolution ; car la première suppose que les deux matières sont liquéfiées par le feu, et la seconde ne se fait que par la fusion ou la calcination du métal par le feu contenu dans le dissolvant, ce qui produit toujours de la chaleur ; mais, dans les amalgames, il n’y a qu’humectation et point de fusion ni de dissolution : et même un de nos plus habiles chimistes[1] a observé que non seulement les amalgames se font sans produire de chaleur, mais qu’au contraire ils produisent un froid sensible qu’on peut mesurer en y plongeant un thermomètre.

On objectera peut-être qu’il se produit du froid pendant l’union de l’alcali minéral avec l’acide nitreux, du sel ammoniac avec l’eau, de la neige avec l’eau, et que toutes ces unions sont bien de vraies dissolutions ; mais cela même prouve qu’il ne se produit du froid que quand la dissolution commence par l’humectation ; car la vraie cause de ce froid est l’évaporation de la chaleur de l’eau ou des liqueurs en général, qui ne peuvent mouiller sans s’évaporer en partie.

L’or s’amalgame avec le mercure par le simple contact : il le reçoit à sa surface, le retient dans ses pores, et ne peut en être séparé que par le moyen du feu. Le mercure colore en entier les molécules de l’or ; leur couleur jaune disparaît, l’amalgame est d’un gris tirant sur le brun si le mercure est saturé. Tous ces effets proviennent de l’attraction de l’or qui est plus forte que celle des parties du mercure entre elles, et qui par conséquent les sépare les unes des autres, et les divise assez pour qu’elles puissent entrer dans les pores et humecter la substance de l’or ; car en jetant une pièce de ce métal dans du mercure, il en pénétrera toute la masse avec le temps, et perdra précisément en quantité ce que l’or aura gagné, c’est-à-dire ce qu’il aura saisi par l’amalgame. L’or est donc de tous les métaux celui qui a la plus grande affinité avec le mercure, et on a employé très utilement le moyen de l’amalgame pour séparer ce métal précieux de toutes les matières étrangères avec lesquelles il se trouve mêlé dans ses mines : au reste, pour amalgamer promptement l’or ou d’autres métaux, il faut les réduire en feuilles minces ou en poudre, et les mêler avec le mercure par la trituration.

L’argent s’unit aussi avec le mercure par le simple contact, mais il ne le retient pas aussi puissamment que l’or, leur union est moins intime ; et, comme la couleur de l’argent est à peu près la même que celle du mercure, sa surface devient seulement plus brillante lorsqu’elle en est humectée : c’est ce beau blanc brillant qui a fait donner au mercure le nom de vif-argent.

Cette grande affinité du mercure avec l’or et l’argent semblerait indiquer qu’il doit se trouver dans le sein de la terre des amalgames naturels de ces métaux ; cependant, depuis qu’on recherche et recueille des minéraux, à peine a-t-on un exemple d’or natif amalgamé, et l’on ne connaît en argent que quelques morceaux tirés des mines d’Allemagne, qui contiennent une quantité assez considérable de mercure pour être regardés comme de vrais amalgames[2] : il est aisé de concevoir que cette rareté des amalgames naturels vient de

  1. M. de Machi.
  2. M. Sage fait mention d’un morceau d’or natif de Hongrie, d’un jaune grisâtre, fragile, et dans lequel l’analyse lui a fait trouver une petite quantité de mercure, avec lequel ou