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du soufre avec le mercure dans le cinabre ne soit pas bien intime, cependant elle est beaucoup plus forte et plus profonde ; car, en mettant le cinabre en vaisseaux clos comme la chaux de mercure, le cinabre ne se décompose pas, il se sublime sans changer de nature et sans que le mercure se sépare, au lieu que, par le même procédé, sa chaux se décompose et le mercure quitte l’air.

Le foie de soufre paraît être la matière avec laquelle le mercure a le plus de tendance à s’unir, puisque, dans le sein de la terre, le mercure ne se présente que sous la forme de cinabre : le soufre seul, et sans mélange de matières alcalines, n’agit pas aussi puissamment sur le mercure ; il s’y mêle à peu près comme les graisses lorsqu’on les triture ensemble, et ce mélange, où le mercure disparaît, n’est qu’une poudre pesante et noire à laquelle les chimistes ont donné le nom d’éthiops minéral[1] ; mais, malgré ce changement de couleur et malgré l’apparence d’une union assez intime entre le mercure et le soufre dans ce mélange, il est encore vrai que ce n’est qu’une union de contact et très superficielle ; car il est aisé d’en retirer sans perte, et précisément, la même quantité de mercure sans la moindre altération ; et, comme nous avons vu qu’il en est de même lorsqu’on revivifie le mercure du cinabre, il paraît démontré que le soufre, qui altère la plupart des métaux ne cause aucun changement intérieur dans la substance du mercure.

Au reste, lorsque le mercure, par le moyen du feu et par l’addition de l’air, prend la forme d’une chaux ou d’une terre en poudre, cette poudre est d’abord noire, et devient ensuite d’un beau rouge en continuant le feu : elle offre même quelquefois de petits cristaux transparents et d’un rouge de rubis.

Comme la densité du mercure est très grande, et qu’en même temps ses parties constituantes sont presque infiniment petites, il peut s’appliquer mieux qu’aucun autre liquide aux surfaces de tous les corps polis. La force de son union, par simple contact, avec une glace de miroir, a été mesurée par un de nos plus savants physiciens[2], et s’est

  1. L’éthiops minéral est une combinaison de mercure avec une assez grande quantité de soufre ; il est noir… Il se fait ou par la fusion ou par la simple trituration… On fait fondre du soufre dans un vaisseau de terre non vernissé ; aussitôt qu’il est fondu, on y mêle une égale quantité de mercure en retirant le vaisseau de dessus le feu. On agite le mélange jusqu’à ce qu’il soit refroidi et figé ; il reste après cela une masse noire et friable qu’on broie et qu’on tamise, et c’est l’éthiops.

    Et lorsqu’on veut faire de l’éthiops sans feu, on triture le mercure avec le soufre dans un mortier de verre ou de marbre, en mettant deux parties de mercure sur trois parties de fleurs de soufre, et on triture jusqu’à ce que le mercure ne soit plus visible… L’union du mercure et du soufre dans l’éthiops n’est pas si forte que dans le cinabre ; il ne faut pas croire pour cela qu’elle soit nulle, et qu’il n’y ait dans l’éthiops qu’un simple mélange ou interposition des parties des deux substances : il y a adhérence et combinaison réelle. La preuve en est qu’on ne peut les séparer que par des intermèdes qui sont les mêmes que ceux qu’on emploie pour séparer le mercure du cinabre, et cet éthiops peut aisément devenir, étant traité par les procédés chimiques, du véritable cinabre artificiel. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Éthiops.

  2. Si l’on met, dit M. de Morveau, en équilibre une balance portant à l’un de ses bras un morceau de glace taillé en rond, de deux pouces et demi de diamètre, suspendu dans une position horizontale par un crochet mastiqué sur la surface supérieure, et que l’on fasse ensuite descendre cette glace sur la surface du mercure placé au-dessous, à très peu de distance, il faudra ajouter dans le bassin opposé jusqu’à neuf gros dix-huit grains pour détacher la glace du mercure et vaincre l’adhésion résultant du contact.

    Le poids et la compression de l’atmosphère n’entrent pour rien dans ce phénomène, car l’appareil étant mis sur le récipient dénué d’air de la machine pneumatique, le mercure adhérera encore à la glace avec une force égale, et cette adhésion soutiendra de même les neuf gros dont on aura chargé précédemment l’autre bras de la balance. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. Ier, p. 54 et 55.