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d’une division presque infinie, il s’est disséminé en molécules si ténues qu’elles échappent à nos yeux et même à toutes les recherches de notre art, à moins que par hasard, comme dans les exemples que nous avons cités, ces molécules ne se trouvent en assez grand nombre pour pouvoir les recueillir ou les réunir par la sublimation. Quelques auteurs ont avancé qu’on a tiré du mercure coulant des racines d’une certaine plante semblable au doronic[1], qu’à la Chine on en tirait du pourpier sauvage[2] ; je ne veux pas garantir ces faits, mais il ne me paraît pas impossible que le mercure disséminé en molécules très petites soit pompé avec la sève par les plantes, puisque nous savons qu’elles pompent les particules du fer contenu dans la terre végétale.

En faisant subir au cinabre l’action du feu dans des vaisseaux clos, il se sublimera sans changer de nature, c’est-à-dire sans se décomposer ; mais en l’exposant au même degré de feu dans des vaisseaux ouverts, le soufre du cinabre se brûle, le mercure se volatilise et se perd dans les airs ; on est donc obligé, pour le retenir, de le sublimer en vaisseaux clos, et afin de le séparer du soufre, qui se sublime en même temps, on mêle, avec le cinabre réduit en poudre, de la limaille de fer[3] ; ce métal, ayant beaucoup plus d’affinité que le mercure avec le soufre, s’en empare à mesure que le feu le dégage, et par cet intermède le mercure s’élève seul en vapeurs qu’il est aisé de recueillir en petites gouttes coulantes dans un récipient à demi plein d’eau. Lorsqu’on ne veut que s’assurer si une

  1. « Selon M. Manfredi, il vient dans la vallée de Lancy, qui est située entre les montagnes de Tunis, une plante semblable au doronic ; on trouve auprès de ses racines du mercure coulant en petits globules ; son suc exprimé à l’air dans une belle nuit fournit autant de mercure qu’il s’est dissipé de suc. » Collection académique, partie étrangère, t. II, p. 93.
  2. Le P. d’Entrecolles rapporte qu’à la Chine on tire du mercure de certaines plantes, et surtout du pourpier sauvage, que même ce mercure est plus pur que celui qu’on tire des mines, et qu’on les distingue à la Chine par deux différents noms. Lettres édifiantes, vingt-deuxième Recueil, p. 457.
  3. Si on met le cinabre sur le feu dans des vaisseaux clos, il se sublime en entier, sans changer de nature. Si on l’expose, au contraire, à l’air libre et sur le même feu, c’est-à-dire dans des vaisseaux ouverts, il se décompose, parce que le soufre se brûle, et alors le mercure se dégage réduit en vapeurs ; mais, comme il s’en produit beaucoup par cette manière, on a trouvé moyen de le séparer du soufre en vaisseaux clos, en offrant au soufre quelque intermède qui ait avec lui plus d’affinité qu’il n’en a avec le mercure… comme l’alcali fixe, la chaux, etc., et même les métaux et demi-métaux, surtout le fer, le cuivre, l’étain, le plomb, l’argent, le bismuth et le régule d’antimoine, qui tous ont plus d’affinité avec le soufre que n’en a le mercure, et de toutes ces substances, c’est le fer qui est la plus commode et la plus usitée pour la décomposition du cinabre en petit. On prend deux parties de cinabre et une partie de limaille de fer non rouillée ; on les mêle bien ensemble ; on met ce mélange dans une cornue qu’on place dans un fourneau à feu nu, ou dans une capsule, au bain de sable, arrangée de manière qu’on puisse donner un feu assez fort ; on ajoute à la cornue un récipient qui contient de l’eau, et on procède à la distillation. Le mercure, dégagé du soufre par l’intermède du fer, s’élève en vapeurs qui passent dans le récipient et s’y condensent, pour la plus grande partie, au fond de l’eau en mercure coulant. Il y a aussi une portion du mercure qui reste très divisée et qui s’arrête à la surface de l’eau, à cause de la finesse de ses parties, sous la forme d’une poudre noirâtre, qu’il faut ramasser exactement pour la mêler avec le mercure en masse, avec lequel elle s’incorpore facilement. Ce mercure, qu’on passe ensuite à travers un linge serré, est très pur… On trouve dans la cornue le soufre du cinabre uni avec le fer, ou l’alcali, ou telle autre matière qu’on aura employée pour le séparer du mercure…

    Trois livres de cinabre, suivant M. Baumé, donnent deux livres deux onces de mercure ; la limaille de fer absorbe douze onces et demie de soufre, et il y a perte d’une once et demie. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Cinabre.