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fixes du globe se vitrifiaient ou se déposaient sous la forme de métal ou de chaux métallique, tandis que l’eau, encore pénétrée de feu, produisait les acides et les sels, les vapeurs de ces substances métalliques, combinées avec celles de l’eau et des principes acides, n’ont-elles pas pu former cette substance du mercure, presque aussi volatile que l’eau et dense comme le métal ? Cette substance liquide, qui se glace comme l’eau et qui n’en diffère essentiellement que par sa densité, n’a-t-elle pas dû se trouver dans l’ordre des combinaisons de la nature, qui a produit non seulement des métaux et des demi-métaux, mais aussi des terres métalliques et salines, telles que l’arsenic ? Or, pour compléter la suite de ses opérations, n’a-t-elle pas dû produire aussi des eaux métalliques, telles que le mercure ? L’échelle de la nature, dans ses productions métalliques, commence par l’or qui est le métal le plus inaltérable et, par conséquent, le plus parfait ; ensuite l’argent qui, étant sujet à quelques altérations, est moins parfait que l’or ; après quoi le cuivre, l’étain et le plomb, qui sont susceptibles non seulement d’altération, mais de décomposition, sont des métaux imparfaits en comparaison des deux premiers ; enfin, le fer fait la nuance entre les métaux imparfaits et les demi-métaux ; car le fer et le zinc ne présentent aucun caractère essentiel qui doive réellement les faire placer dans deux classes différentes ; la ductilité du fer est une propriété que l’art lui donne, il se brûle comme le zinc ; il lui faut seulement un feu plus fort, etc. : on pourrait donc également prendre le fer pour le premier des demi-métaux, ou le zinc pour le dernier des métaux ; et cette échelle se continue par l’antimoine, le bismuth, et finit par les terres métalliques et par le mercure, qui n’est qu’une substance métallique liquide.

On se familiarisera avec l’idée de cette possibilité, en pesant les considérations que nous venons de présenter, et en se rappelant que l’eau, dans son essence, doit être regardée comme un sel insipide et fluide ; que la glace, qui n’est que ce même sel rendu solide, le devient d’autant plus que le froid est plus grand ; que l’eau, dans son état de liquidité, peut acquérir de la densité à mesure qu’elle dissout les sels ; que l’eau, purgée d’air, est incompressible, et dès lors composée de parties très solides et très dures ; que par conséquent elle deviendrait très dense, si ces mêmes parties s’unissaient de plus près ; et, quoique nous ne connaissions pas au juste le moyen que la nature a employé pour faire ce rapprochement des parties dans le mercure, nous en voyons néanmoins assez pour être fondés à présumer que ce minéral fluide est plutôt une eau métallique qu’un vrai métal ; de la même manière que l’arsenic, auquel on donne le nom de demi-métal, n’est qu’une terre plutôt saline que métallique, et non pas un vrai demi-métal[NdÉ 1].

On pourra me reprocher que j’abuse ici des termes, en disant que le mercure mouille les métaux, puisqu’il ne mouille pas les autres matières, au lieu que l’eau et les autres liquides mouillent toutes les substances qu’on leur offre et que, par conséquent, ils ont seuls la faculté de mouiller ; mais en faisant attention à la grande densité du mercure, et à la forte attraction qui unit entre elles ses parties constituantes, on sentira aisément qu’une eau, dont les parties s’attireraient aussi fort que celles du mercure, ne mouillerait pas plus que le mercure dont les parties ne peuvent se désunir que par la chaleur, ou par une puissance plus forte que celle de leur attraction réciproque, et que dès lors ces mêmes parties ne peuvent mouiller que l’or, l’argent et les autres substances qui les attirent plus puissamment qu’elles ne s’attirent entre elles ; on sentira de même que, si l’eau paraît mouiller indifféremment toutes les matières, c’est que ses parties intégrantes

  1. Malgré les erreurs que contiennent les considérations auxquelles se livre ici Buffon, elles n’en sont pas moins remarquables parce qu’elles montrent combien le savant naturaliste était convaincu des relations qui existent entre les différents corps, même minéraux, et des traits de ressemblance qui rapprochent les uns des autres ceux qui paraissent différer le plus. [Note de Wikisource : Parmi les corrections indispensables au sujet du mercure, il faut signaler : 1o que le mercure est réellement un métal, et un corps simple, et donc ne contient ni eau ni sels ; 2o que s’il est présent naturellement sous forme liquide, c’est que son point de fusion est extrêmement bas (–39°C environ), non qu’il tient de l’eau ; 3o que s’il peut se vaporiser, c’est aussi le cas de tous les corps simples, et pas seulement de ceux liquides à température ambiante.]