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DU MERCURE


Rien ne ressemble plus à l’étain ou au plomb, dans leur état de fusion, que le mercure dans son état naturel ; aussi l’a-t-on regardé comme un métal fluide auquel on a cherché, mais vainement, les moyens de donner de la solidité ; on a seulement trouvé que le froid extrême pouvait le coaguler, sans lui donner une solidité constante, ni même aussi permanente, à beaucoup près, que celle de l’eau glacée ; et, par ce rapport unique et singulier, le mercure semble se rapprocher de la nature de l’eau, autant qu’il approche du métal par d’autres propriétés, et notamment par sa densité, la plus grande de toutes après celle de l’or[1] ; mais il diffère de tout métal, et même de tout minéral métallique, en ce qu’il n’a nulle ténacité, nulle dureté, nulle solidité, nulle fixité, et il se rapproche encore de l’eau par sa volatilité, puisque, comme elle, il se volatilise et s’évapore à une médiocre chaleur. Ce liquide minéral est-il donc un métal ? ou n’est-il pas une eau qui ressemble aux métaux parce qu’elle est chargée des parties les plus denses de la terre, avec lesquelles elle s’est plus intimement unie que dans aucune autre matière ? On sait qu’en général toute fluidité provient de la chaleur, et qu’en particulier le feu agit sur les métaux comme l’eau sur les sels, puisqu’il les liquéfie, et qu’il les tiendrait en une fluidité constante s’il était toujours au même degré de violente chaleur, tandis que les sels ne demandent que celui de la température actuelle pour demeurer liquides : tous les sels se liquéfiant dans l’eau comme les métaux dans le feu, la fluidité du mercure tient, ce me semble, plus au premier élément qu’au dernier ; car le mercure ne se solidifie qu’en se glaçant comme l’eau ; il lui faut même un bien plus grand degré de froid, parce qu’il est beaucoup plus dense ; le feu est ici en quantité presque infiniment petite, au lieu que ce même élément ne peut agir sur les métaux, comme liquéfiant, comme dissolvant, que quand il leur est appliqué en quantité infiniment grande, en comparaison de ce qu’il en faut au mercure pour demeurer liquide.

De plus, le mercure se réduit en vapeurs par l’effet de la chaleur, à peu près comme l’eau, et ces deux vapeurs sont également incoercibles, même par les résistances les plus fortes : toutes deux font éclater et fendre les vaisseaux les plus solides avec explosion ; enfin, le mercure mouille les métaux, comme l’eau mouille les sels ou les terres, à proportion des sels qu’elles contiennent ; le mercure ne peut-il donc pas être considéré comme une eau dense et pesante, qui ne tient aux métaux que par ce rapport de densité ? Et cette eau, plus dense que tous les liquides connus, n’a-t-elle pas dû se former, après la chute des autres eaux et des matières également volatiles reléguées dans l’atmosphère, pendant l’incandescence du globe ? Les parties métalliques, terrestres, aqueuses et salines, alors sublimées ou réduites en vapeurs, se seront combinées ; et, tandis que les matières

  1. La pesanteur spécifique de l’or à 24 carats est de 192 581, et celle du plomb de 113 523. La pesanteur spécifique du mercure coulant est de 135 681, et celle du cinabre d’Almaden est de 102 185. Voyez les Tables de M. Brisson.