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Les Anglais ne se servent que de charbon de terre pour faire le minium, et ils prétendent même qu’on ne réussirait pas avec le charbon de bois ; cependant, dit M. Jars, il n’y aurait d’autre inconvénient que celui des éclats de ce charbon qui pourraient revivifier quelques parties de la chaux de plomb, ce qu’il est très aisé d’éviter. Je ne pense pas, avec M. Jars, que ce soit là le seul inconvénient. Le charbon de bois ne donne pas une chaleur aussi forte ni aussi constante que le charbon de terre, et d’ailleurs l’acide sulfureux qui s’en exhale, et la fumée du bitume qu’il contient, peuvent contribuer à donner à la chaux de plomb la belle couleur rouge.

Toutes ces chaux de plomb, blanches, grises, jaunes et rouges, sont non seulement très aisées à vitrifier, mais même elles déterminent promptement et puissamment la vitrification de plusieurs autres matières : seules, elles ne donnent que de la litharge ou du verre jaune très peu solide ; mais, fondues avec le quartz, elles forment un verre très solide, assez transparent, et d’une belle couleur jaune.

Considérant maintenant les propriétés particulières du plomb dans son état de métal, nous verrons qu’il est le moins dur et le moins élastique de tous les métaux ; que, quoiqu’il soit très mou, il est aussi le moins ductile ; qu’il est encore le moins tenace, puisqu’un fil d’un dixième de pouce de diamètre ne peut soutenir un poids de 30 livres sans se rompre ; mais il est, après l’or, le plus pesant ; car je ne mets pas le mercure ni le platine au nombre des vrais métaux : son poids spécifique est à celui de l’eau distillée comme 113533 sont à 10000, et le pied cube de plomb pur pèse 794 livres 10 onces 4 gros 44 grains[1]. Son odeur est moins forte que celle du cuivre, cependant elle se fait sentir désagréablement lorsqu’on le frotte ; il est d’un assez beau blanc quand il vient d’être fondu, ou lorsqu’on l’entame et le coupe ; mais l’impression de l’air ternit en peu de temps sa surface qui se décompose en une rouille légère, de couleur obscure et bleuâtre : cette rouille est assez adhérente au métal, elle ne s’en détache pas aussi facilement que le vert-de-gris se détache du cuivre ; c’est une espèce de chaux qui se revivifie aussi aisément que les autres chaux de plomb ; c’est une céruse commencée : cette décomposition par les éléments humides se fait plus promptement lorsque ce métal est exposé à de fréquentes alternatives de sécheresse et d’humidité.

Le plomb, comme l’on sait, se fond très facilement, et, lorsqu’on le laisse refroidir lentement, il forme des cristaux qu’on peut rendre très apparents par un procédé qu’indique M. l’abbé Mongez : c’est en formant une géode dans un creuset, dont le fond est environné de charbon, et qu’on perce dès que la surface du métal fondu a pris de la consistance : on obtient de cette manière des cristaux bien formés en pyramides trièdres isolées, et de trois à quatre lignes de longueur. Je me suis servi du même moyen pour cristalliser la fonte de fer.

Le plomb, exposé à l’air dans son état de fusion, se combine avec cet élément, qui non seulement s’attache à sa surface, mais se fixe dans sa substance, la convertit en chaux, et en augmente le volume et le poids[2] : cet air fixé dans le métal est la seule cause de sa conversion en chaux, le phlogistique ne fait rien ici, et il est étonnant que nos chimistes s’obstinent à vouloir expliquer, par l’absence et la présence de ce phlogistique, les phénomènes de la calcination et de la revivification des métaux, tandis qu’on peut démontrer que le changement du métal en chaux et son augmentation de volume, ou pesanteur absolue, ne viennent que de l’air qui y est entré, puisqu’on en retire cet air en même quantité, et que rien n’est plus simple et plus aisé à concevoir que la réduction de cette chaux en

  1. Voyez la Table des pesanteurs spécifiques, par M. Brisson.
  2. Selon M. Chardenon, un quintal de plomb donne jusqu’à cent dix livres de chaux ; et, de tous les métaux, le plomb et l’étain sont ceux qui acquièrent le plus de pesanteur dans la calcination. Mémoires de l’Académie de Dijon, t. Ier, p. 303 et suiv.