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pourpre de Cassius, et précieux par l’usage qu’on en fait pour les émaux : l’étain a donc non seulement la puissance d’altérer l’or dans son état de métal, mais même d’en faire une espèce de chaux dans sa dissolution, ce qu’aucun autre agent de la nature, ni même l’art, ne peuvent faire. C’est aussi avec cette dissolution d’étain dans l’eau régale que l’on donne aux étoffes de laine la couleur vive et éclatante de l’écarlate : sans cela, le cramoisi et le pourpre de la cochenille et de la gomme laque ne pourraient s’exalter en couleur de feu.

Les acides végétaux agissent aussi sur l’étain, on peut même le dissoudre avec le vinaigre distillé ; la crème de tartre l’attaque plus faiblement ; l’alcali fixe en corrode la surface à l’aide d’un peu de chaleur ; mais, selon M. de Morveau, il résiste constamment à l’action de l’alcali volatil[1].

Considérant maintenant les rapports de l’étain avec les autres métaux, nous verrons qu’il a tant d’affinité avec le fer et le cuivre, qu’il s’unit et s’incorpore avec eux, sans qu’ils soient fondus ni même rougis à blanc ; ils retiendront l’étain fondu dès que leurs pores seront ouverts par la chaleur, et qu’ils commenceront à rougir ; l’étain enduira leur surface, y adhérera, et même il la pénétrera et s’unira à leur substance plus intimement que par un simple contact ; mais il faut pour cela que leur superficie soit nette et pure, c’est-à-dire nettoyée de toute crasse ou matière étrangère ; car, en général, les métaux ne contractent d’union qu’entre eux, et jamais avec les autres substances ; il faut de même que l’étain, qu’on veut appliquer à la surface du fer ou du cuivre, soit purgé de toute matière hétérogène, et qu’il ne soit que fondu et point du tout calciné ; et, comme le degré de chaleur qu’on donne au fer et au cuivre pour recevoir l’étamage ne laisserait pas de calciner les parties de l’étain au moment de leur contact, on enduit ces métaux avec de la poix-résine ou de la graisse, qui revivifie les parties calcinées et conserve à l’étain fondu son état de métal assez de temps pour qu’on puisse l’étendre sur toute la surface que l’on veut étamer.

Au reste, cet art de l’étamage, quoique aussi universellement répandu qu’anciennement usité[2], et qu’on n’a imaginé que pour parer aux effets funestes du cuivre, devrait néanmoins être proscrit, ou du moins soumis à un règlement de police, si l’on avait plus de soin de la santé des hommes ; car les ouvriers mêlent ordinairement un tiers de plomb dans l’étain pour faire leur étamage sur le cuivre, que les graisses, les beurres, les huiles et les sels changent en vert-de-gris : or, le plomb produit des effets à la vérité plus lents, mais tout aussi funestes que le cuivre ; on ne fait donc que substituer un mal au mal qu’on voulait éviter, et que même on n’évite pas en entier ; car le vert-de-gris perce en peu de temps le mince enduit de l’étamage, et l’on serait épouvanté si l’on pouvait compter le nombre des victimes du cuivre dans nos laboratoires et nos cuisines. Aussi le fer est-il bien préférable pour ces usages domestiques : c’est le seul de tous les métaux imparfaits qui n’ait aucune qualité funeste ; mais il noircit les viandes et tous les autres mets ; il lui faut donc un étamage d’étain pur, et l’on pourrait, comme nous l’avons dit, s’assurer par l’eau régale[3] s’il est exempt d’arsenic, et n’employer à l’étamage du fer que de l’étain épuré et éprouvé.

  1. L’étain nous a paru constamment résister à l’action de l’alcali volatil caustique, malgré que quelques chimistes aient avancé que, dans la décomposition du vitriol ammoniacal par l’étain, l’alcali volatil entraîne un peu de ce métal qui s’en sépare à la longue, ou qui est précipité par un acide. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. III, p. 256.
  2. Pline en parle : « Stannum illitum æneis vasis sapores gratiores facit, et compescit æruginis virus. » Hist. nat., lib. xxxiv, cap. xvi.
  3. Les étains que l’on appelle purs sont encore mélangés d’arsenic ; à peine sont-ils touchés par l’eau régale qu’ils se ternissent, deviennent noirs et se convertissent en une poudre de la même couleur, dont il est aisé de retirer tout l’arsenic en la lavant une ou deux fois avec un peu d’eau distillée, qui, dissolvant le sel formé par la calcination de