Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont les noirs et les blancs ; mais, lorsqu’on les broie, leurs couleurs s’exaltent et ils deviennent plus ou moins rouges par cette comminution. Au reste, les sables ou poudres métalliques qu’on trouve souvent dans les mines d’étain n’en sont que des détriments, et quelquefois ces détriments sont si fort altérés qu’ils ont perdu toute consistance, et presque toutes les propriétés métalliques. Les mineurs ont appelé mundick cette poussière qu’ils rejettent comme trop appauvrie, et dont en effet on ne peut tirer, avec beaucoup de travail, qu’une très petite quantité d’étain ; la substance de ce mundick n’est pour la plus grande partie que de l’arsenic décomposé[1].

Comme l’étain ne se trouve qu’en quelques contrées particulières, et que ses mines, en général, sont assez difficiles à extraire et à traiter, on peut croire avec fondement que ce métal n’a été connu et employé que longtemps après l’or, l’argent et le cuivre, qui se sont présentés dès les premiers temps sous leur forme métallique ; on peut dire la même chose du plomb et du fer ; ces métaux n’ont vraisemblablement été employés que les derniers ; néanmoins, la connaissance et l’usage des six métaux date de plus de trois mille cinq cents ans ; ils sont tous nommés dans les livres sacrés ; les armes d’Achille, faites par Vulcain, étaient de cuivre allié d’étain[2] : les Hébreux et les anciens Grecs ont donc employé ce dernier métal[3], et comme les grandes Indes leur étaient inconnues, et qu’ils n’avaient commerce avec les nations étrangères que par les Phéniciens[4], il est à présumer qu’ils tiraient cet étain d’Angleterre, ou qu’il y avait, dans ce temps, des mines de ce métal en exploitation dans l’Asie Mineure, lesquelles depuis ont été abandonnées[5]. Actuellement, on ne connaît en Europe, ou plutôt on ne travaille les mines d’étain qu’en Angleterre et en quelques provinces de l’Allemagne ; ces mines sont très abondantes et comme accumulées les unes auprès des autres dans ces contrées : ce n’est pas qu’il n’y en ait ailleurs, mais elles sont si pauvres, en comparaison de celles de Cornouailles en Angleterre, et de celles de Bohême et de Saxe, qu’on les a négligées ou tout à fait oubliées.

  1. On distingue aisément le mundick des autres mines par sa couleur brillante, mais cependant brune et sale, et dont elle teint les doigts… Les mineurs assurent qu’ils ne trouvent que peu ou point d’étain dans les endroits où ils rencontrent du mundick… Et il est sûr que, si on laisse du mundick parmi l’étain qu’on veut fondre, il le rend épais et moins ductile… Les mineurs regardent cette substance, mundick, comme un poison, et croient que c’est une espèce d’arsenic… Il en sort en effet une puanteur très dangereuse, lorsqu’on le brûle pour le séparer de l’étain. Merret, Collection académique, partie étrangère, t. II, p. 480 et suiv. — On distingue aisément ce mundick du minerai d’étain, car le mundick s’attache aux doigts et les salit ; cette matière, si elle reste avec l’étain, le gâte, lui ôte son éclat et le rend cassant. Le feu dissipe le mundick et l’odeur en est pernicieuse. M. Hellot, ayant examiné cette matière, l’a trouvée presque en tout semblable à une mine bitumineuse d’arsenic qui fut envoyée de Sainte-Marie-aux-Mines. Minéralogie de M. de Bomare, t. II, p. 111 et suiv.
  2. Homère nous dit aussi que les héros de Troie couvraient de plaques d’étain la tête des chevaux attelés à leur char de bataille ; mais il ne paraît pas qu’au temps du siège de Troie, les Grecs se servissent de vases d’étain sur leur table, car Homère, si fidèle à représenter toutes les coutumes, ne dit rien à ce sujet, tandis qu’il fait plus d’une fois mention des chaudrons d’airain dans lesquels les capitaines et les soldats faisaient cuire leur viande.
  3. Les anciens Romains se servaient de miroirs d’étain que l’on fabriquait à Brindes, et il y a toute apparence que cet étain était mêlé de bismuth. « Specula ex stanno laudatissima Brundusii temperabantur, donec argenteis uti cœpere et ancillæ. » Pline, lib. xxxiv, cap. xvii.
  4. Le prophète Ézéchiel, en s’adressant à la ville de Tyr, lui dit : « Les Carthaginois trafiquaient avec vous ; ils vous apportaient toutes sortes de richesses et remplissaient vos marchés d’argent, de plomb et d’étain. » Chap. xxvii, v. 12.
  5. Woodward prétend, peut-être pour l’honneur de sa nation, que les anciens Bretons faisaient commerce avec les Phéniciens, et leur fournissaient de l’étain dès la plus haute antiquité ; mais ce savant naturaliste ne cite pas les garants de ce fait.