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vapeurs ; il en distingue quatre sortes : la première, qu’il nomme exhalaison fleurs de pois parce qu’elle a l’odeur de cette fleur, n’est pas mortelle, et ne se fait guère sentir qu’en été ; la seconde, qu’il appelle exhalaison fulminante, produit en effet un éclair et une forte détonation, en prenant feu à l’approche d’une chandelle, et l’on a remarqué qu’elle ne s’enflammait pas par les étincelles du briquet, en sorte que, pour éclairer les ouvriers dans ces profondeurs entièrement obscures, on s’est quelquefois servi d’une meule, qui, frottée continuellement contre des morceaux d’acier, produisait assez d’étincelles pour leur donner de la lumière sans courir le risque d’enflammer la vapeur ; la troisième, qu’il regarde comme l’exhalaison commune et ordinaire dans toutes ces mines, est un mauvais air qu’on a peine à respirer ; on reconnaît la présence de cette exhalaison à la flamme d’une chandelle qui commence par tourner et diminuer jusqu’à extinction ; il en serait de même de la vie, si l’on s’obstinait à demeurer dans cet air qui paraît avoir perdu partie de son élasticité ; enfin la quatrième vapeur est celle que Lister nomme exhalaison globuleuse : c’est un amas de ce même mauvais air qui s’attache à la voûte de la mine en forme d’un ballon, dont l’enveloppe n’est pas plus épaisse qu’une toile d’araignée ; lorsque ce ballon vient à s’ouvrir, la vapeur qui en sort suffoque, étouffe ceux qui la respirent. Je crois, avec M. Morand, qu’on peut réduire ces quatre sortes de vapeurs à deux : l’une n’est qu’un simple brouillard de mauvais air auquel nous donnerons le nom de mouffette ou pousse[1] ; cet air, qui éteint les lumières et fait périr les hommes, est l’acide aérien ou air fixe, aujourd’hui bien connu[NdÉ 1], qui existe plus ou moins dans tout air, et qui n’a pu être encore ni composé ni décomposé par l’art ; les ventilateurs et le feu lui-même ne le purifient pas et ne font que le déplacer ; il faut donc entretenir une libre circulation dans les mines. Cette vapeur devient plus abondante lorsque les travaux ont été interrompus pendant quelques jours, et dans les grandes chaleurs de l’été le brouillard est quelquefois si fort qu’on est obligé de cesser les ouvrages ; il se condense souvent en filets qui voltigent ; et ce sont apparemment ces filets réunis qui forment les globes dont parle Lister. La seconde exhalaison est la vapeur qui s’enflamme et qu’on appelle feu grieux[2] ; c’est vraiment de l’air inflammable[NdÉ 2], tout pareil à celui qui sort des marais et de toutes les eaux croupies ; cet air siffle et pétille dans certains charbons, surtout lorsqu’ils sont amoncelés ; ils s’enflamment quelquefois d’eux-mêmes comme le feraient des pyrites entassées. Les ouvriers savent reconnaître qu’ils sont menacés de cette exhalaison, et qu’elle va s’allumer par l’effet très naturel qu’elle produit de repousser l’air de l’endroit d’où elle vient : aussi, dès qu’ils s’en aperçoivent, ils se hâtent d’éteindre leurs chandelles ; ils sont encore avertis par les étincelles bleuâtres que la flamme de ces chandelles jette alors en assez grande quantité[3].

  1. L’action de la mouffette ou pousse est telle qu’elle éteint la chandelle, et qu’ensuite cette chandelle éteinte ne donne pas la moindre fumée, et qu’un charbon ardent qui a été soumis à la mouffette revient sans aucun vestige de chaleur. Du charbon de terre, par M. Morand, p. 34 et 157.
  2. On connaît plusieurs mines dans lesquelles le feu grieux se conserve depuis longtemps. Dans la mine de Mulhein (à une lieue de Cologne)… l’odeur qui accompagne ce feu ressemble à celle de la poudre à canon enflammée. Du charbon de terre, par M. Morand, p. 930.
  3. Idem, p. 34 et suiv.
  1. Le gaz que Buffon nomme « acide aérien ou air fixe » est l’acide carbonique [Note de Wikisource : aujourd’hui plus communément appelé dioxyde de carbone] ; on ne peut manquer d’être frappé de la sérénité avec laquelle le grand naturaliste dit « aujourd’hui bien connu » d’un gaz dont on ignorait alors complètement la composition.
  2. L’air inflammable dont parle Buffon n’est pas l’hydrogène pur, alors tout à fait inconnu, mais l’hydrogène carboné des marais [Note de Wikisource : c’est-à-dire le méthane, dans la nomenclature actuelle] ; c’est le gaz qu’on trouve surtout dans les mines de houille et dont l’inflammation provoque les explosions.