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d’œuvre n’est-il pas impossible, et peut-être même y est-on parvenu ; car dans le grand nombre des faits exagérés ou faux, qui nous ont été transmis au sujet du grand œuvre, il y en a quelques-uns[1] dont il me paraît assez difficile de douter ; mais cela ne nous empêche pas de mépriser, et même de condamner tous ceux qui, par cupidité, se livrent à cette recherche, souvent même sans avoir les connaissances nécessaires pour se conduire dans leurs travaux ; car il faut avouer qu’on ne peut rien tirer des livres d’alchimie : ni la Table hermétique, ni la Tourbe des philosophes, ni Philalète et quelques autres que j’ai pris la peine de lire[2], et même d’étudier, ne m’ont présenté que des obscurités, des procédés inintelligibles où je n’ai rien aperçu, et dont je n’ai pu rien conclure, sinon que tous ces chercheurs de pierre philosophale ont regardé le mercure comme la base commune des métaux, et surtout de l’or et de l’argent. Beccher, avec sa terre mercurielle, ne s’éloigne pas beaucoup de cette opinion ; il prétend même avoir trouvé le moyen de fixer cette base commune des métaux ; mais, s’il est vrai que le mercure ne se fixe en effet que par un froid extrême, il n’y a guère d’apparence que le feu des fourneaux de tous ces chimistes ait produit le même effet ; cependant on aurait tort de nier absolument la possibilité de ce changement d’état dans le mercure, puisque, malgré la fluidité qui lui paraît être essentielle, il est dans le cinabre sous une forme solide, et que nous ne savons pas si sa substance ou sa vapeur, mêlée avec quelque autre matière que le soufre, ne prendrait pas une forme encore plus solide, plus concrète et plus dense. Le projet de la transmutation des métaux et celui de la fixation du mercure doivent donc être rejetés, non comme des idées chimériques ni des absurdités, mais comme des entreprises téméraires, dont le succès est plus que douteux : nous sommes encore si loin de connaître tous les effets des puissances de la nature, que nous ne devons pas les juger exclusivement par celles qui nous sont connues, d’autant que toutes les combinaisons possibles ne sont pas à beaucoup près épuisées, et qu’il nous reste sans doute plus de choses à découvrir que nous n’en connaissons.

En attendant que nous puissions pénétrer plus profondément dans le sein de cette nature inépuisable, bornons-nous à la contempler et à la décrire par les faces qu’elle nous présente : chaque sujet, même le plus simple, ne laisse pas d’offrir un si grand nombre de rapports que l’ensemble en est encore très difficile à saisir ; ce que nous avons dit jusqu’ici sur l’or n’est pas à beaucoup près tout ce qu’on pourrait en dire ; ne négligeons, s’il est possible, aucune observation, aucun fait remarquable sur ses mines, sur la manière de les travailler, et sur les lieux où on les trouve. L’or, dans ses mines primitives, est ordinairement en filets, en rameaux, en feuilles, et quelquefois cristallisé en très petits grains de forme octaèdre ; cette cristallisation, ainsi que toutes ces ramifications, n’ont pas été produites par l’intermède de l’eau, mais par l’action du feu primitif qui tenait encore ce métal en fusion ; il a pris toutes ces formes dans les fentes du quartz, quelque temps après sa consolidation : souvent ce quartz est blanc, et quelquefois il est teint d’un jaune couleur de corne, ce qui a fait dire à quelques minéralogistes[3] qu’on trouvait l’or dans la pierre

  1. Voyez entre autres le fait de transmutation du fer en or, cité par Model dans ses Récréations chimiques, traduites en français par M. Parmentier.
  2. Je puis même dire que j’ai vu un bon nombre de ces messieurs adeptes, dont quelques-uns sont venus de fort loin pour me consulter, disaient-ils, et me faire part de leurs travaux ; mais tous ont été bientôt dégoûtés de ma conversation par mon peu d’enthousiasme.
  3. « L’or vierge se trouve non seulement dans du quartz ou de la pierre de corne, mais encore dans des pierres de veines tendres, comme, par exemple, dans une terre ferrugineuse coagulée, et dans une terre de silex ou de limon blanche et tendre ; il y en a beaucoup d’exemples dans la Hongrie et dans la Transylvanie ; on a même reconnu que l’or vierge se montre dans ces veines sous toutes sortes de figures, quelquefois sous la forme de fil allongé : on en trouve aussi qui traverse de grandes pierres. » Instructions sur l’art des mines, par M. Delius, t. Ier, p. 101.