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Les chimistes ont recherché avec soin les affinités de ce métal, tant avec les substances naturelles qu’avec celles qui ne sont que le produit de nos arts ; et il s’est trouvé que ces affinités étaient dans l’ordre suivant : 1o l’eau régale, 2o le foie de soufre, 3o le mercure, 4o l’éther, 5o l’argent, 6o le fer, 7o le plomb. L’or a aussi beaucoup d’affinité avec les substances huileuses, volatiles et atténuées, telles que les huiles essentielles des plantes aromatiques, l’esprit-de-vin, et surtout l’éther[1] : il en a aussi avec les bitumes liquides, tels que le naphte et le pétrole ; d’où l’on peut conclure qu’en général c’est avec les matières qui contiennent le plus de principes inflammables et volatils que l’or a le plus d’affinité, et dès lors on n’est pas en droit de regarder comme une chimère absurde l’idée que l’or rendu potable peut produire quelque effet dans les corps organisés, qui, de tous les êtres, sont ceux dont la substance contient la plus grande quantité de matière inflammable et volatile, et que par conséquent l’or extrêmement divisé puisse y produire de bons ou de mauvais effets, suivant les circonstances et les différents états où se trouvent ces mêmes corps organisés. Il me semble donc qu’on peut se tromper en prononçant affirmativement sur la nullité des effets de l’or pris intérieurement, comme remède, dans certaines maladies, parce que le médecin, ni personne, ne peut connaître tous les rapports que ce métal très atténué peut avoir avec le feu qui nous anime.

il en est de même de cette fameuse recherche appelée le grand œuvre, qu’on doit rejeter en bonne morale, mais qu’en saine physique l’on ne peut pas traiter d’impossible ; on fait bien de dégoûter ceux qui voudraient se livrer à ce travail pénible et ruineux, qui, même fût-il suivi du succès, ne serait utile en rien à la société ; mais pourquoi prononcer d’une manière décidée que la transmutation des métaux soit absolument impossible, puisque nous ne pouvons douter que toutes les matières terrestres, et même les éléments, ne soient tous convertibles ; qu’indépendamment de cette vue spéculative, nous connaissons plusieurs alliages dans lesquels la matière des métaux se pénètre et augmente de densité ? l’essence de l’or consiste dans la prééminence de cette qualité, et toute matière qui, par le mélange, obtiendrait le même degré de densité, ne serait-elle pas de l’or ? ces métaux mélangés, que l’alliage rend spécifiquement plus pesants par leur pénétration réciproque, ne semblent-ils pas nous indiquer qu’il doit y avoir d’autres combinaisons où cette pénétration étant encore plus intime, la densité deviendrait plus grande ?

On ne connaissait ci-devant rien de plus dense que le mercure après l’or, mais on a récemment découvert le platine ; ce minéral nous présente l’une de ces combinaisons où la densité se trouve prodigieusement augmentée, et plus que moyenne entre celle du mercure et celle de l’or ; mais nous n’avons aucun exemple qui puisse nous mettre en droit de prononcer qu’il y ait dans la nature des substances plus denses que l’or, ni des moyens d’en former par notre art ; notre plus grand chef-d’œuvre serait en effet d’augmenter la densité de la matière, au point de lui donner la pesanteur de ce métal ; peut-être ce chef-

  1. L’éther a, de même que toutes les matières huileuses très ténues et très volatiles, la propriété d’enlever l’or de sa dissolution dans l’eau régale ; et comme l’éther est plus subtil qu’aucune de ces matières, il produit aussi beaucoup mieux cet effet : il suffit de verser de l’éther sur une dissolution d’or, de mêler les deux liqueurs en secouant la fiole ; aussitôt que le mélange est en repos, l’éther se débarrasse de l’eau régale et la surnage ; alors l’eau régale dépouillée d’or devient blanche, tandis que l’éther se colore en jaune : de cette manière on fait très promptement une teinture d’or ou or potable, mais peu de temps après l’or se sépare de l’éther, reprend son brillant métallique, et paraît cristallisé à la surface. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. III, p. 316 et 317. — Les huiles essentielles, mêlées et agitées avec une dissolution d’or par l’eau régale, enlèvent ce métal et s’en emparent ; mais l’or nage seulement dans ce fluide, d’où il se précipite en grande partie : il n’y est point dans un état de dissolution parfaite, et conserve toujours une certaine quantité d’acide régalin. Idem, p. 356.