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chaleur pour qu’il exerce cette action fulminante ; or toutes ces conditions réunies ne peuvent se rencontrer dans le sein de la terre, et dès lors il est sûr qu’on n’y trouvera jamais de l’or fulminant. On sait que l’explosion de cet or fulminant est beaucoup plus violente que celle de la poudre à canon, et qu’elle pourrait produire des effets encore plus terribles, et même s’exercer d’une manière plus insidieuse, parce qu’il ne faut ni feu, ni même une étincelle, et que la chaleur seule, produite par un frottement assez léger, suffit pour causer une explosion subite et foudroyante.

On a, ce me semble, vainement tenté l’explication de ce phénomène prodigieux ; cependant, en faisant attention à toutes les circonstances et en comparant leurs rapports, il me semble qu’on peut au moins en tirer des raisons satisfaisantes et très plausibles sur la cause de cet effet : si, dans l’eau régale, dont on se sert pour la dissolution de l’or, il n’est point entré d’alcali volatil, soit sous sa forme propre, soit sous celle du sel ammoniac, de quelque manière et avec quelque intermède qu’on précipite ce métal, il ne sera ni ne deviendra fulminant, à moins qu’on ne se serve de l’alcali volatil pour cette précipitation ; lorsqu’au contraire, la dissolution sera faite avec le sel ammoniac, qui toujours contient de l’alcali volatil, de quelque manière et avec quelque intermède que l’on fasse la précipitation, l’or deviendra toujours fulminant ; il est donc assez clair que cette qualité fulminante ne lui vient que de l’action ou du mélange de l’alcali volatil, et l’on ne doit pas être incertain sur ce point, puisque ce précipité fulminant pèse un quart de plus que l’or dont il est le produit ; dès lors, ce quart en sus de matière étrangère, qui s’est alliée avec l’or dans ce précipité, n’est autre chose, du moins en grande partie, que de l’alcali volatil ; mais cet alcali contient, indépendamment de son sel, une grande quantité d’air inflammable, c’est-à-dire d’air élastique mêlé de feu ; dès lors, il n’est pas surprenant que ce feu ou cet air inflammable, contenu dans l’alcali volatil, qui se trouve pour un quart incorporé avec l’or, ne s’enflamme en effet par la chaleur, et ne produise une explosion d’autant plus violente, que les molécules de l’or dans lesquelles il est engagé sont plus massives et plus résistantes à l’action de cet élément incoercible, et dont les effets sont d’autant plus violents que les résistances sont plus grandes. C’est par cette même raison de l’air inflammable contenu dans l’or fulminant que cette qualité fulminante est détruite par le soufre mêlé avec ce précipité ; car le soufre qui n’est que la matière du feu, fixée par l’acide, a la plus grande affinité avec cette même matière du feu contenue dans l’alcali volatil ; il doit donc lui enlever ce feu, et dès lors, la cause de l’explosion est ou diminuée, ou même anéantie par ce mélange du soufre avec l’or fulminant.

Au reste, l’or fulmine avant d’être chauffé jusqu’au rouge, dans les vaisseaux clos comme en plein air ; mais, quoique cette chaleur nécessaire pour produire la fulmination ne soit pas très grande, il est certain qu’il n’y a nulle part, dans le sein de la terre, un tel degré de chaleur, à l’exception des lieux voisins des feux souterrains, et que par conséquent, il ne peut se trouver d’or fulminant que dans les volcans dont il est possible qu’il ait quelquefois augmenté les terribles effets ; mais, par son explosion même, cet or fulminant se trouve tout à coup anéanti, ou du moins perdu et dispersé en atomes infiniment petits[1].

  1. M. Macquer, après avoir cité quelques exemples funestes des accidents arrivés par la fulmination de l’or à des chimistes peu attentifs ou trop courageux, dit qu’ayant fait fulminer, dans une grande cloche de verre, une quantité de ce précipité, assez petite pour n’en avoir rien à craindre, on a trouvé, après la détonation, sur les parois de la cloche, l’or en nature que cette détonation n’avait point altéré. Comme cela pourrait induire en erreur, je crois devoir observer que cette matière qui avait frappé contre les parois du vaisseau, et s’y était attachée, n’était pas, comme il le dit, de l’or en nature, mais de l’or précipité, ce qui est fort différent, puisque celui-ci a perdu la principale propriété de sa nature, qui est d’être inaltérable, indissoluble par les acides simples, et que tous les acides peuvent au contraire altérer et même dissoudre ce précipité.