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tombent, ils seront réfléchis et ne le pénétreront pas ; l’huile dont on humecte le papier pour le rendre transparent en remplit et bouche en même temps les pores ; elle ne produit donc la transparence que parce qu’elle donne au papier plus d’affinité qu’il n’en avait avec la lumière, et l’on pourrait démontrer, par plusieurs autres exemples, l’effet de cette attraction de transmission de la lumière ou des autres fluides dans les corps solides ; et peut-être l’or, dont la feuille mince laisse passer les rayons bleus de la lumière, à l’exclusion tous les autres rayons, a-t-il plus d’affinité avec ces rayons bleus, qui dès lors sont admis, tandis que les autres sont tous repoussés !

Toutes les restrictions que nous venons de faire sur la fixité, la ductilité et l’opacité de l’or, qu’on a regardées comme des propriétés trop absolues, n’empêchent pas qu’il n’ait au plus haut degré toutes les qualités qui caractérisent la noble substance du plus parfait métal ; car il faut encore ajouter à sa prééminence en densité et en ténacité, celle d’une essence indestructible et d’une durée presque éternelle : il est inaltérable, ou du moins plus durable, plus impassible qu’aucune autre substance ; il oppose une résistance invincible à l’action des éléments humides, à celle du soufre et des acides les plus puissants, et des sels les plus corrosifs ; néanmoins, nous avons trouvé par notre art non seulement les moyens de le dissoudre, mais encore ceux de le dépouiller de la plupart de ses qualités, et si la nature n’en a pas fait autant, c’est que la main de l’homme, conduite par l’esprit, a souvent plus fait qu’elle : et, sans sortir de notre sujet, nous verrons que l’or dissous, l’or précipité, l’or fulminant, etc., ne se trouvant pas dans la nature, ce sont autant de combinaisons nouvelles toutes résultantes de notre intelligence. Ce n’est pas qu’il soit physiquement impossible qu’il y ait dans le sein de la terre de l’or dissous, précipité et minéralisé, puisque nous pouvons le dissoudre et le précipiter de sa dissolution, et puisque dans cet état de précipité il peut être saisi par les acides simples comme les autres métaux et se montrer par conséquent sous une forme minéralisée ; mais, comme cette dissolution suppose la réunion de deux acides, et que ce précipité ne peut s’opérer que par une troisième combinaison, il n’est pas étonnant qu’on ne trouve que peu ou point d’or minéralisé dans le sein de la terre[1], tandis que tous les autres métaux se présentent presque toujours sous cette forme, qu’ils reçoivent d’autant plus aisément qu’ils sont plus susceptibles d’être attaqués par les sels de la terre et par les impressions des éléments humides.

On n’a jamais trouvé de précipités d’or, ni d’or fulminant dans le sein de la terre ; la raison en deviendra sensible si l’on considère en particulier chacune des combinaisons nécessaires pour produire ces précipités : d’abord on ne peut dissoudre l’or que par deux puissances réunies et combinées, l’acide nitreux avec l’acide marin, ou le soufre avec l’alcali ; et la réunion de ces deux substances actives doit être très rare dans la nature, puisque les acides et les alcalis, tels que nous les employons, sont eux-mêmes des produits de notre art, et que le soufre natif n’est aussi qu’un produit des volcans. Ces raisons sont les mêmes, et encore plus fortes pour les précipités d’or ; car il faut une troisième combinaison pour le tirer de sa dissolution, au moyen du mélange de quelque autre matière avec laquelle le dissolvant ait plus d’affinité qu’avec l’or ; et ensuite, pour que ce précipité puisse acquérir la propriété fulminante, il faut encore choisir une matière entre toutes les autres qui peuvent également précipiter l’or de sa dissolution : cette matière est l’alcali volatil, sans lequel il ne peut devenir fulminant ; cet alcali volatil est le seul intermède qui dégage subitement l’air et cause la fulmination ; car, s’il n’est point entré d’alcali volatil dans la dissolution de l’or, et qu’on le précipite avec l’alcali fixe ou toute autre matière, il ne sera pas fulminant : enfin, il faut encore lui communiquer une assez forte

  1. L’or est minéralisé, dit-on, dans la mine de Nagiach : on prétend aussi que le zinopel ou sinople provient de la décomposition de l’or faite par la nature, sous la forme d’une terre ou chaux couleur de pourpre ; mais je doute que ces faits soient bien constatés.