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expériences de Boyle et de Kunckel sont exactes, l’on sera forcé de convenir que l’effet de notre feu sur l’or n’est pas le même que celui du feu solaire, et que, s’il ne perd rien au premier, il peut perdre beaucoup, et peut-être tout au second ; mais je ne puis m’empêcher de douter de la réalité de cette différence d’effets du feu solaire et de nos feux, et je présume que ces expériences de Boyle et de Kunckel n’ont pas été suivies avec assez de précision pour en conclure que l’or est absolument fixe au feu de nos fourneaux.

L’opacité est encore une de ces qualités qu’on donne à l’or par excellence au-dessus de toute autre matière ; elle dépend, dit-on, de la grande densité de ce métal ; la feuille d’or la plus mince ne laisse passer de la lumière que par les gerçures accidentelles qui s’y trouvent[1] ; si cela était, les matières les plus denses seraient toujours les plus opaques ; mais souvent on observe le contraire, et l’on connaît des matières très légères qui sont entièrement opaques, et des matières pesantes qui sont transparentes ; d’ailleurs, les feuilles de l’or battu laissent non seulement passer de la lumière par leurs gerçures accidentelles, mais à travers leurs pores ; et Boyle a, ce me semble, observé le premier que cette lumière qui traverse l’or est bleue ; or les rayons bleus sont les plus petits atomes de la lumière solaire ; ceux des rayons rouges et jaunes sont les plus gros, et c’est peut-être par cette raison que les bleus peuvent passer à travers l’or réduit en feuilles, tandis que les autres, qui sont plus gros, ne sont point admis ou sont tous réfléchis ; et cette lumière bleue étant uniformément apparente sur toute l’étendue de la feuille, on ne peut douter qu’elle n’ait passé par ses pores, et non par les gerçures. Ceci n’a rapport qu’à l’effet ; mais, pour la cause, si l’opacité, qui est le contraire de la transparence, ne dépendait que de la densité, l’or serait certainement le corps le plus opaque, comme l’air est le plus transparent : mais combien n’y a-t-il pas d’exemples du contraire ! Le cristal de roche, si transparent, n’est-il pas plus dense que la plupart des terres ou pierres opaques ? Et, si l’on attribue la transparence à l’homogénéité, l’or, dont les parties paraissent être homogènes, ne devrait-il pas être très transparent ? Il me semble donc que l’opacité ne dépend ni de la densité de la matière, ni de l’homogénéité de ses parties, et que la première cause de la transparence est la disposition régulière des parties constituantes et des pores ; que, quand ces mêmes parties se trouvent disposées en formes régulières et posées de manière à laisser entre elles des vides situés dans la même direction, alors la matière doit être transparente ; et qu’elle est au contraire nécessairement opaque dès que les pores ne sont pas situés dans des directions correspondantes.

Et cette disposition qui fait la transparence s’oppose à la ténacité : aussi les corps transparents sont en général plus friables que les corps opaques ; et l’or, dont les parties sont fort homogènes et la ténacité très grande, n’a pas ses parties ainsi disposées ; on voit en le rompant qu’elles sont pour ainsi dire engrenées les unes dans les autres ; elles présentent au microscope de petits angles prismatiques, saillants et rentrants ; c’est donc de cette disposition de ses parties constituantes que l’or tient sa grande opacité, qui, du reste, ne paraît en effet si grande que parce que sa densité permet d’étendre en une surface immense une très petite masse, et que la feuille d’or, quelque mince qu’elle soit, est toujours plus dense que toute autre matière. Cependant, cette disposition des vides ou pores dans les corps n’est pas la seule cause qui puisse produire la transparence : le corps transparent n’est, dans ce premier cas, qu’un crible par lequel peut passer la lumière ; mais, lorsque les vides sont trop petits, la lumière est quelquefois repoussée au lieu d’être admise ; il faut qu’il y ait attraction entre les parties de la matière et les atomes de la lumière pour qu’ils la pénètrent ; car l’on ne doit pas considérer ici les pores comme des gerçures ou des trous, mais comme des interstices, d’autant plus petits et plus serrés que la matière est plus dense ; or, si les rayons de lumière n’ont point d’affinité avec le corps sur lequel ils

  1. Dictionnaire de chimie, article Or.