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causes, n’est pas en rapport simple à l’une ou à l’autre de ces qualités, mais en raison composée des deux : la ductilité sera donc relative à la densité multipliée par la ténacité, et c’est ce qui dans l’or rend cette ductilité encore plus grande, à proportion, que dans tout autre métal.

Cependant la forte ténacité de l’or, et sa ductilité encore plus grande, ne sont pas des propriétés aussi essentielles que sa densité : elles en dérivent et ont leur plein effet, tant que rien n’intercepte la liaison des parties constituantes, tant que l’homogénéité subsiste, et qu’aucune force ou matière étrangère ne change la position de ces mêmes parties ; mais ces deux qualités, qu’on croirait essentielles à l’or, se perdent dès que sa substance subit quelque dérangement dans son intérieur ; un grain d’arsenic ou d’étain, jeté sur un marc d’or en fonte ou même leur vapeur, suffit pour altérer toute cette quantité d’or, et le rend aussi fragile qu’il était auparavant tenace et ductile : quelques chimistes ont prétendu qu’il perd de même sa ductilité par les matières inflammables, par exemple, lorsque étant en fusion, il est immédiatement exposé à la vapeur du charbon[1] ; mais je ne crois pas que cette opinion soit fondée.

L’or perd aussi sa ductilité par la percussion ; il s’écrouit, devient cassant, sans addition ni mélange d’aucune matière ni vapeur, mais par le seul dérangement de ses parties intégrantes : ainsi ce métal, qui de tous est le plus ductile, n’en perd pas moins aisément sa ductilité, ce qui prouve que ce n’est point une propriété essentielle et constante à la matière métallique, mais seulement une qualité relative aux différents états où elle se trouve, puisqu’on peut lui ôter par l’écrouissement, et lui rendre par le recuit au feu, cette qualité ductile alternativement, et autant de fois qu’on le juge à propos. Au reste, M. Brisson, de l’Académie des sciences, a reconnu par des expériences très bien faites qu’en même temps que l’écrouissement diminue la ductilité des métaux, il augmente leur densité, qu’ils deviennent par conséquent d’une plus grande pesanteur spécifique, et que cet excédent de densité s’évanouit par le recuit[2].

La fixité au feu, qu’on regarde encore comme une des propriétés essentielles de l’or, n’est pas aussi absolue, ni même aussi grande qu’on le croit vulgairement, d’après les expériences de Boyle et de Kunckel ; ils ont, disent-ils, tenu pendant quelques semaines de l’or en fusion, sans aucune perte sur son poids ; cependant je suis assuré, par des expériences faites dès l’année 1747[3] à mon miroir de réflexion, que l’or fume et se sublime en vapeurs, même avant de se fondre ; on sait d’ailleurs qu’au moment où ce métal devient rouge, et qu’il est sur le point d’entrer en fusion, il s’élève à sa surface une petite flamme d’un vert léger, et M. Macquer, notre savant professeur de chimie, a suivi les progrès de l’or en fonte au foyer d’un miroir réfringent, et a reconnu de même qu’il continuait de fumer et de s’exhaler en vapeur ; il a démontré que cette vapeur était métallique, qu’elle saisissait et dorait l’argent ou les autres matières qu’on tenait au-dessus de cet or fumant[4]. Il n’est donc pas douteux que l’or ne se sublime en vapeurs métalliques, non seulement après, mais même avant sa fonte au foyer des miroirs ardents ; ainsi ce n’est pas la très grande violence de ce feu du soleil qui produit cet effet, puisque la sublimation s’opère à un degré de chaleur assez médiocre et avant que ce métal entre en fusion : dès lors, si les

  1. « J’ignore, m’écrit à ce sujet M. Tillet, si l’on a fait des expériences bien décidées pour prouver que l’or en fusion perd sa ductilité étant exposé à la vapeur du charbon ; mais je sais certainement qu’on est dans l’usage pour les travaux des monnaies, lorsque l’or est en fusion dans les creusets, de les couvrir de charbon afin qu’il s’y conserve une grande chaleur, et souvent on brasse l’or dans le creuset, en employant un charbon long et à demi-embrasé, sans que le métal perde rien de sa ductilité. »
  2. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1772, seconde partie.
  3. Voyez les Mémoires sur les miroirs ardents, t. II.
  4. Dictionnaire de chimie, article Or.