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les substances les plus pesantes de toutes les matières terrestres ; rien ne peut altérer ou changer dans l’or cette qualité prééminente : on peut dire qu’en général la densité constitue l’essence réelle de toute matière brute, et que cette première propriété fixe en même temps nos idées sur la proportion de la quantité de l’espace à celle de la matière sous un volume donné. L’or est le terme extrême de cette proportion, toute autre substance occupant plus d’espace ; il est donc la matière par excellence, c’est-à-dire la substance qui de toutes est la plus matière, et néanmoins, ce corps si dense et si compact, cette matière dont les parties sont si rapprochées, si serrées, contient peut-être encore plus de vide que de plein, et par conséquent nous démontre qu’il n’y point de matière sans pores, que le contact des atomes matériels n’est jamais absolu ni complet, qu’enfin il n’existe aucune substance qui soit pleinement matérielle, et dans laquelle le vide ou l’espace ne soit interposé, et n’occupe autant et plus de place que la matière même.

Mais, dans toute matière solide, ces atomes matériels sont assez voisins pour se trouver dans la sphère de leur attraction mutuelle, et c’est en quoi consiste la ténacité de toute matière solide ; les atomes de même nature sont ceux qui se réunissent de plus près : ainsi la ténacité dépend en partie de l’homogénéité. Cette vérité peut se démontrer par l’expérience ; car tout alliage diminue ou détruit la ténacité des métaux : celle de l’or est si forte qu’un fil de ce métal, d’un dixième de ligne de diamètre, peut porter avant de se rompre, cinq cents livres de poids ; aucune autre matière métallique ou terreuse ne peut en supporter autant.

La divisibilité et la ductilité ne sont que des qualités secondaires, qui dépendent en partie de la densité et en partie de la ténacité, ou de la liaison des parties constituantes. L’or qui, sous un même volume, contient plus du double de matière que le cuivre, sera par cela seul une fois plus divisible ; et, comme les parties intégrantes de l’or sont plus voisines les unes des autres que dans toute autre substance, sa ductilité est aussi la plus grande, et surpasse celle des autres métaux[1] dans une proportion bien plus grande que celle de la densité ou de la ténacité, parce que la ductilité, qui est le produit de ces deux

    plus froid ou plus chaud, et les différences qu’on a trouvées dans la densité des différentes matières soumises à l’épreuve de la balance hydrostatique, viennent non seulement du poids absolu de l’eau à laquelle on les compare, mais encore du degré de la chaleur actuelle de ce liquide, et c’est par cette raison qu’il faut un degré fixe, tel que la température de 12 degrés, pour que le résultat de la comparaison soit juste. Un pied cube d’eau distillée, pesant donc toujours, à la température de 12 degrés, 71 livres 7 onces 5 gros 8 1/24 grains, il est certain que, si l’or perd dans l’eau 1/19 de son poids, le pied cube de ce métal pèse 1 358 livres 1 once 1 gros 8 19/29 grains, et je crois cette estimation trop forte, car, comme je viens de le dire, le globe d’or très fin, d’un pouce de diamètre, dont je me suis servi, ne perdait pas 1/19 de son poids dans de l’eau qui n’était pas distillée, et par conséquent, il se pourrait que dans l’eau distillée il n’eût perdu que 1/18 3/4, et dans ce cas (1/18 3/4) le pied cube d’or ne pèserait réellement que 1 340 livres 9 onces 2 gros 25 grains : il me paraît donc qu’on a exagéré la densité de l’or, en assurant qu’il perd dans l’eau plus de 1/19 de son poids, et que c’est tout au plus s’il perd 1/19, auquel cas le pied cube pèserait 1 358 livres ; ceux qui assurent qu’il n’en pèse que 1 348, et qui disent en même temps qu’il perd dans l’eau entre 1/19 et 1/20 de son poids, ne se sont pas aperçus que ces deux résultats sont démentis l’un par l’autre.

  1. « La ductilité de l’or est telle qu’une once de ce métal, qui ne fait qu’un très petit volume, peut couvrir et dorer très exactement un fil d’argent long de quatre cent quarante-quatre lieues. » Dictionnaire de chimie, article Or… « Une once d’or passée à la filière, peut s’étendre en un fil de soixante-treize lieues de longueur. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1713… Les batteurs d’or réduisent une once de ce métal en seize cents feuilles, chacune de trente-sept lignes de longueur et autant de largeur, ce qui fait à peu près cent six pieds carrés d’étendue, pour les seize cents feuilles.