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DE L’OR


Autant nous avons vu le fer subir de transformations et prendre d’états différents, soit par les causes naturelles, soit par les effets de notre art ; autant l’or nous paraîtra fixe, immuable et constamment le même, sous notre main comme sous celle de la nature : c’est de toutes les matières du globe la plus pesante, la plus inaltérable, la plus tenace, la plus extensible, et c’est par la réunion de ces caractères prééminents que, dans tous les temps, l’or a été regardé comme le métal le plus parfait et le plus précieux ; il est devenu le signe universel et constant de la valeur de toute autre matière, par un consentement unanime et tacite de tous les peuples policés. Comme il peut se diviser à l’infini sans rien perdre de son essence, et même sans subir la moindre altération, il se trouve disséminé sur la surface entière du globe, mais en molécules si ténues que sa présence n’est pas sensible. Toute la couche de la terre qui recouvre le globe en contient, mais c’est en si petite quantité qu’on ne l’aperçoit pas et qu’on ne peut le recueillir ; il est plus apparent, quoique encore en très petite quantité, dans les sables entraînés par les eaux et détachés de la masse des rochers qui le recèlent ; on le voit quelquefois briller dans ces sables dont il est aisé de le séparer par des lotions réitérées : ces paillettes charriées par les eaux, ainsi que toutes les autres particules de l’or qui sont disséminées sur la terre, proviennent également des mines primordiales de ce métal. Ces mines gisent dans les fentes du quartz où elles se sont établies peu de temps après la consolidation du globe ; souvent l’or y est mêlé avec d’autres métaux sans en être altéré ; presque toujours il est allié d’argent, et néanmoins il conserve sa nature dans le mélange, tandis que les autres métaux, corrompus et minéralisés, ont perdu leur première forme avant de voir le jour, et ne peuvent ensuite la reprendre que par le travail de nos mains : l’or, au contraire, vrai métal de nature, a été formé tel qu’il est ; il a été fondu ou sublimé par l’action du feu primitif, et s’est établi sous la forme qu’il conserve encore aujourd’hui ; il n’a subi d’autre altération que celle d’une division presque infinie ; car il ne se présente nulle part sous une forme minéralisée ; on peut même dire que, pour minéraliser l’or, il faudrait un concours de circonstances qui ne se trouvent peut-être pas dans la nature, et qui lui feraient perdre ses qualités les plus essentielles ; car il ne pourrait prendre cette forme minéralisée qu’en passant auparavant par l’état de précipité, ce qui suppose précédemment sa dissolution par la réunion des acides nitreux et marin ; et ces précipités de l’or ne conservent pas les grandes propriétés de ce métal ; ils ne sont plus inaltérables et ils peuvent être dissous par les acides simples ; ce n’est donc que sous cette forme de précipité que l’or pourrait être minéralisé ; et, comme il faut la réunion de l’acide nitreux et de l’acide marin pour en faire la dissolution[NdÉ 1], et ensuite un alcali ou une matière métallique pour opérer le précipité, ce

  1. Le liquide dont on se sert le plus habituellement pour dissoudre l’or est un mélange d’acide azotique (1 part.) et d’acide chlorhydrique (4 part.). On le désigne sous le nom d’Eau régale.