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la filiation de ces arts, en suivant les rapports naturels qui les font dépendre les uns des autres : le reste appartient moins à l’histoire de la nature qu’à celle des progrès de notre industrie.

Mais nous ne devons pas oublier de faire mention des principales propriétés du fer et de l’acier, relativement à celles des autres métaux : le fer, quoique très dur, n’est pas fort dense ; c’est, après l’étain, le plus léger de tous. Le fer commun, pesé dans l’eau, ne perd guère qu’un huitième de son poids, et ne pèse que cinq cent quarante-cinq ou cinq cent quarante-six livres le pied cube[1] : l’acier pèse cinq cent quarante-huit à cinq cent quarante-neuf livres, et il est toujours spécifiquement un peu plus pesant que le meilleur fer ; je dis le meilleur fer, car en général ce métal est sujet à varier pour la densité, ainsi que pour la ténacité, la dureté, l’élasticité, et il paraît n’avoir aucune propriété absolue que celle d’être attirable à l’aimant ; encore cette qualité magnétique est-elle beaucoup plus grande dans l’acier et dans certains fers que dans d’autres ; elle augmente aussi dans certaines circonstances et diminue dans d’autres ; et cependant cette propriété d’être attirable à l’aimant paraît appartenir au fer, à l’exclusion de toute autre matière, car nous ne connaissons dans la nature aucun métal, aucune autre substance pure qui ait cette qualité magnétique et qui puisse même l’acquérir par notre art ; rien au contraire ne peut la faire perdre au fer tant qu’il existe dans son état de métal. Et non seulement il est toujours attirable par l’aimant, mais il peut lui-même devenir aimant, et lorsqu’il est une fois aimanté, il attire l’autre fer avec autant de force que l’aimant même[2].

De tous les métaux, après l’or, le fer est celui dont la ténacité est la plus grande : selon Musschenbroeck, un fil de fer d’un dixième de pouce de diamètre peut soutenir un poids de quatre cent cinquante livres sans se rompre ; mais j’ai reconnu par ma propre expérience qu’il y a une énorme différence entre la ténacité du bon et du mauvais fer[3], et quoiqu’on choisisse le meilleur pour le passer à la filière, on trouvera encore des différences dans la ténacité des différents fils de fer de même grosseur, et l’on observera généralement que plus le fil de fer sera fin, plus la ténacité sera grande à proportion.

Nous avons vu qu’il faut un feu très violent pour fondre le fer forgé, et qu’en même temps qu’il se fond, il se brûle et se calcine en partie, et d’autant plus que la chaleur est plus forte : en le fondant au foyer d’un miroir ardent, on le voit bouillonner, brûler, jeter une flamme assez sensible et se changer en mâchefer ; cette scorie conserve la qualité magnétique du fer, après avoir perdu toutes les autres propriétés de ce métal.

Tous les acides minéraux et végétaux agissent plus ou moins sur le fer et l’acier ; l’air, qui dans son état ordinaire est toujours chargé d’humidité, les réduit en rouille ; l’air sec ne les attaque pas de même et ne fait qu’en ternir la surface ; l’eau la ternit davantage et la noircit à la longue : elle en divise et sépare les parties constituantes, et l’on peut avec de l’eau pure réduire ce métal en une poudre très fine[4], laquelle néanmoins est encore

  1. On a écrit et répété partout que le pied cube de fer pèse cinq cent quatre-vingts livres (Voyez le Dictionnaire de Chimie, article Fer) ; mais cette estimation est de beaucoup trop forte. M. Brisson s’est assuré, par des épreuves à la balance hydrostatique, que le fer forgé, non écroui comme écroui, ne pèse également que cinq cent quarante-cinq livres deux ou trois onces le pied cube, et que le pied cube d’acier pèse cinq cent quarante-huit livres : on s’était donc trompé de trente-cinq livres, en estimant cinq cent quatre-vingts livres le poids d’un pied cube de fer. (Voyez la Table des pesanteurs spécifiques de M. Brisson.)
  2. Voyez, dans le IVe volume, l’article de l’Aimant.
  3. Voyez le Mémoire sur la ténacité du fer, dans le IIe volume.
  4. Prenez de la limaille de fer nette et brillante ; mettez-la dans un vase ; versez assez d’eau dessus pour la couvrir d’un pouce ou deux ; faites-la remuer avec une spatule de fer jusqu’à ce qu’elle soit réduite en poudre si fine qu’elle reste suspendue à la surface de l’eau : cette poudre est encore du vrai fer très attirable à l’aimant.