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moi que ce n’est que par le travail du marteau et par la réunion de différents aciers mêlés d’un peu d’étoffe de fer que l’on vient à bout de damasquiner les lames de sabres, et de leur donner en même temps le tranchant, l’élasticité et la ténacité nécessaires ; il a reconnu comme moi que ni l’or ni l’argent ne peuvent produire cet effet.

Il me resterait encore beaucoup de choses à dire sur le travail et sur l’emploi du fer : je me suis contenté d’en indiquer les principaux objets ; chacun demanderait un traité particulier, et l’on pourrait compter plus de cent arts ou métiers tous relatifs au travail de ce métal, en le prenant depuis ses mines jusqu’à sa conversion en acier et sa fabrication en canons de fusils, lames d’épées, ressorts de montre, etc. Je n’ai pu donner ici que

    de soudure qui étaient dans l’intérieur se sont découverts, et quelque soin que l’ouvrier y ait donné, il n’a pu forger cette lame sans beaucoup de pailles.

    » J’ai fait recommencer cette opération par quatre fois différentes, et toutes les lames ont été pailleuses sans qu’on ait pu y remédier, ce qui me persuade qu’il y est entré beaucoup d’argent.

    » Les barres dans lesquelles je n’ai mis que la dose ordinaire d’argent, et dont les plaques du dessus et du dessous n’avaient pas plus d’épaisseur que les autres, ont toutes bien soudé et ont donné des lames sans paille ; il s’est trouvé sur l’enclume beaucoup d’argent fondu qui s’y était attaché.

    » À l’égard des barres forgées sans argent, elles ont été soudées sans aucune difficulté comme de l’acier ordinaire, et elles ont donné de très belles lames. Pour connaître si ces lames sans argent avaient les mêmes qualités pour le tranchant et la solidité que celles fabriquées avec de l’argent, j’ai essayé le tranchant de toutes forces sur des nœuds de bois de chêne, qu’elles ont coupés sans s’ébrécher ; j’en ai ensuite mis une à plat entre deux barres de fer sur mon escalier, comme vous l’avez vu faire sur le vôtre, et ce n’a été qu’après l’avoir tourmentée dans tous les sens que je suis parvenu à la déchirer. J’ai donc trouvé à ces lames le même tranchant et la même ténacité. Il semblerait d’après ces épreuves :

    » 1o Que, s’il reste de l’argent dans l’acier, il est impossible de le souder dans les endroits où il se trouve ;

    » 2o Que, lorsqu’on réussit à souder parfaitement des barres où il y a de l’argent, il faut que cet argent, qui est en fusion lorsque l’acier est rouge blanc, s’en soit échappé aux premiers coups de marteau, soit par les jointures des barres posées les unes sur les autres, soit par les pores alors ouverts de l’acier ; lorsque les plaques sont plus épaisses, l’argent fondu se répand en partie sur l’enclume, et il est impossible de souder les endroits où il en reste ;

    » 3o L’argent ne communique aucune vertu à l’acier, soit pour le tranchant, soit pour la solidité ; et l’opinion du public, qui avait décidé mes recherches, et qui attribue au mélange de l’acier et de l’argent la bonté des lames de Damas en Turquie, est sans fondement, puisque, en décomposant un morceau vous-même, monsieur, vous n’y avez pas trouvé plus d’argent que dans la lame de même étoffe faite ici, dans laquelle il en était cependant entré ;

    » 4o Le tranchant étonnant de ces lames et leur solidité ne proviennent, ainsi que les dessins qu’elles présentent, que du mélange des différents aciers qu’on y emploie, et de la façon qu’on les travaille ensemble.

    » Pour que vous puissiez, monsieur, en juger par vous-même, et rectifier mes idées à ce sujet, j’envoie à mon dépôt de l’arsenal de Paris, pour vous être remises à leur arrivée :

    » 1o Une des lames forgées avec les lingots où il y avait le double d’argent, dans laquelle je crois qu’il y en a encore, parce qu’elle n’a pu être bien soudée, et que vous voudrez bien faire décomposer après avoir fait éprouver son tranchant et sa solidité ;

    » 2o Une lame forgée d’un lingot où j’avais mis moitié d’argent, bien soudée, et sur laquelle j’ai fait graver vos armoiries ;

    » 3o Une lame fabriquée d’une barre d’acier travaillée pour damas, dans laquelle il n’est point entré d’argent ; vous voudrez bien faire mettre cette lame aux plus fortes épreuves, tant pour le tranchant sur du bois qu’en essayant sa résistance en la forçant entre deux barres de fer. » (Lettre de M. Gaü, entrepreneur général de la manufacture des armes blanches, à M. le comte de Buffon, datée de Klingensthal, le 29 avril 1775.)