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qu’on fait durcir le bois en le passant au feu, qui lui enlève l’humidité qui cause en partie sa mollesse ; ainsi, dans cette trempe à la graisse ou à l’huile sous la cendre chaude, on ne fait que substituer aux parties aqueuses du bois une substance qui lui est plus analogue et qui en rapproche les fibres de plus près.

L’acier trempé très dur, c’est-à-dire à l’eau froide, est en même temps très cassant : on ne s’en sert que pour certains ouvrages, et en particulier pour faire des outils qu’on appelle brunissoirs, qui, étant d’un acier plus dur que tous les autres aciers, servent à lui donner le dernier poli[1].

Au reste, on ne peut donner le poli vif, brillant et noir qu’à l’espèce d’acier qu’on appelle acier fondu, et que nous tirons d’Angleterre ; nos artistes ne connaissent pas les moyens de faire cet excellent acier ; ce n’est pas qu’en général il ne soit assez facile de fondre l’acier ; j’en ai fait couler à mes fourneaux d’aspiration plus de vingt livres en fusion très parfaite, mais la difficulté consiste à traiter et à forger cet acier fondu, cela demande les plus grandes précautions, car ordinairement il s’éparpille en étincelles au seul contact de l’air, et se réduit en poudre sous le marteau.

Dans les fileries, on fait des filières qui doivent être de la plus grande dureté, avec une sorte d’acier qu’on appelle acier sauvage ; on le fait fondre, et au moment qu’il se coagule, on le frappe légèrement avec un marteau à main, et à mesure qu’il prend du corps, on le chauffe et on le forge en augmentant graduellement la force et la vitesse de la percussion, et on l’achève en le forgeant au martinet. On prétend que c’est par ce procédé que les Anglais forgent leur acier fondu, et on assure que les Asiatiques travaillent de même leur acier en pain qui est aussi d’excellente qualité. La fragilité de cet acier fondu est presque égale à celle du verre, c’est pourquoi il n’est bon que pour certains outils, tels que les rasoirs, les lancettes, etc., qui doivent être très tranchants et prendre le plus de dureté et le plus beau poli ; mais il ne peut servir aux ouvrages qui, comme les lames d’épées, doivent avoir du ressort ; et c’est par cette raison que dans le Levant[2], comme en Europe,

  1. On sait que c’est avec de la potée ou chaux d’étain délayée dans de l’esprit-de-vin que l’on polit l’acier, mais les Anglais emploient un autre procédé pour lui donner le poli noir et brillant dont ils font un secret. M. Perret dont nous venons de parler, paraît avoir découvert ce secret ; du moins, il est venu à bout de polir l’acier à peu près aussi bien qu’on le polit en Angleterre ; il faut pour cela broyer la potée sur une plaque de fonte de fer bien unie et polie ; on se sert d’un brunissoir de bois de noyer sur lequel on colle un morceau de peau de buffle qu’on a précédemment lissé avec la pierre ponce, et qu’on imprègne de potée délayée à l’eau-de-vie. Ce polissoir doit être monté sur une roue de cinq à six pieds de diamètre pour donner un mouvement plus vif. La matière que M. Perret a trouvée la meilleure pour polir parfaitement l’acier est l’acier lui-même fondu avec du soufre, et ensuite réduit en poudre. M. de Grignon assure que le colcothar retiré du vitriol après la distillation de l’eau-forte est la matière qui donne le plus beau poli noir à l’acier ; il faut laver ce colcothar encore chaud plusieurs fois et le réduire au dernier degré de finesse par la décantation ; il faut aussi qu’il soit entièrement dépouillé de ses parties salines qui formeraient des taches bleuâtres sur le poli ; il paraît que M. Langlois est de nos artistes celui qui a le mieux réussi à donner ce beau poli noir à l’acier.
  2. Les mines d’acier de Perse produisent beaucoup, car l’acier n’y vaut que sept sous la livre… Cet acier est fin, ayant le grain fort menu et délié, qualité qui naturellement et sans artifice le rend dur comme le diamant ; mais d’autre côté il est cassant comme du verre. Et comme les artisans persans ne lui savent pas bien donner la trempe, il n’y a pas moyen d’en faire des ressorts ni des ouvrages déliés et délicats : il prend pourtant une fort bonne trempe dans l’eau froide, ce qu’on fait en l’enveloppant d’un linge mouillé au lieu de le jeter dans une auge d’eau, après quoi on le fait chauffer sans le rougir tout à fait. Cet acier ne se peut point non plus allier avec le fer, et si on lui donne le feu trop chaud, il se brûle et devient comme de l’écume de charbon ; on le mêle avec l’acier des Indes, qui est plus doux et qui