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de l’acier : au reste, la trempe au suif ne durcit pas l’acier, et par conséquent ne suffit pas pour les instruments tranchants qui doivent être très durs ; ainsi il faudra les tremper à l’eau après les avoir trempés au suif. On a observé que la trempe à l’huile végétale donne plus de dureté que la trempe au suif ou à toute autre graisse animale, et c’est sans doute parce que l’huile contient plus d’eau que la graisse. »

L’écrouissement que l’on donne aux métaux les rend plus durs, et occasionne en particulier les cassures qui se font dans le fer et l’acier ; la trempe augmente ces cassures, et ne manque jamais d’en produire dans les parties qui ont été les plus récrouies, et qui sont, par conséquent, devenues les plus dures : l’or, l’argent, le cuivre, battus à froid, s’écrouissent et deviennent plus durs et plus élastiques sous les coups réitérés du marteau ; il n’en est pas de même de l’étain et du plomb qui, quoique battus fortement et longtemps, ne prennent point de dureté ni d’élasticité ; on peut même faire fondre l’étain en le faisant frapper sous un martinet prompt, et on rend le plomb si mou et si chaud qu’il paraît aussi prêt à se fondre. Mais je ne crois pas, avec M. Perret, qu’il existe une matière particulière que la percussion fait entrer dans le fer, l’or, l’argent et le cuivre, et que l’étain ni le plomb ne peuvent recevoir : ne suffit-il pas que la substance de ces premiers métaux soit par elle-même plus dure que celle du plomb et de l’étain pour qu’elle le devienne encore plus par le rapprochement de ses parties ? La percussion du marteau ne peut produire que ce rapprochement, et, lorsque les parties intégrantes d’un métal sont elles-mêmes assez dures pour ne se point écraser, mais seulement se rapprocher par la percussion, le métal écroui deviendra plus dur et même élastique, tandis que les métaux, comme le plomb et l’étain dont la substance est molle jusque dans ses plus petits atomes, ne prendront ni dureté ni ressort, parce que les parties intégrantes, étant écrasées par la percussion, n’en seront que plus molles, ou plutôt ne changeront pas de nature ni de propriété, puisqu’elles s’étendront au lieu de se resserrer et de se rapprocher. Le marteau ne fait donc que comprimer le métal en détruisant les pores ou interstices qui étaient entre ses parties intégrantes, et c’est par cette raison qu’en remettant le métal écroui dans le feu dont le premier effet est de dilater toute substance, les interstices se rétablissent entre les parties du métal, et l’effet de l’écrouissement ne subsiste plus.

Mais, pour en revenir à la trempe, il est certain qu’elle fait un effet prodigieux sur le fer et l’acier. La trempe dans l’eau très froide rend, comme nous venons de le dire, le meilleur fer tout à fait cassant ; et, quoique cet effet soit beaucoup moins sensible lorsque l’eau est à la température ordinaire, il est cependant très vrai qu’elle influe sur la qualité du fer, et qu’on doit empêcher le forgeron de tremper sa pièce encore rouge de feu pour la refroidir, et même il ne faut pas qu’il jette une grande quantité d’eau dessus en la forgeant, tant qu’elle est dans l’état d’incandescence : il en est de même de l’acier, et l’on fera bien de ne le tremper qu’une seule fois dans l’eau à la température ordinaire.

Dans certaines contrées où le travail du fer est encore inconnu, les Nègres, quoique les moins ingénieux de tous les hommes, ont néanmoins imaginé de tremper le bois dans l’huile ou dans des graisses dont ils le laissent s’imbiber ; ensuite ils l’enveloppent avec de grandes feuilles, comme celles de bananier, et mettent sous de la cendre chaude les instruments de bois qu’ils veulent rendre tranchants ; la chaleur fait ouvrir les pores du bois qui s’imbibe encore plus de cette graisse, et, lorsqu’il est refroidi, il paraît lisse, sec, luisant, et il est devenu si dur qu’il tranche et perce comme une arme de fer : des zagaies de bois dur et trempé de cette façon, lancées contre des arbres à la distance de quarante pieds, y entrent de trois ou quatre pouces, et pourraient traverser le corps d’un homme ; leurs haches de bois, trempées de même, tranchent tous les autres bois[1]. On sait d’ailleurs

  1. Note communiquée en 1774 par M. de Renne, ancien capitaine de vaisseau de la Compagnie des Indes.