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se délivrait en effet de toutes ses impuretés, sans remplacement, sans acquisition d’autre matière, il deviendrait nécessairement plus léger ; or, je me suis assuré que ces bandes de fer, devenues acier par la cémentation, loin d’être plus légères, sont spécifiquement plus pesantes et que, par conséquent, elles acquièrent plus de matière qu’elles n’en perdent ; dès lors, quelle peut donc être cette matière, si ce n’est la substance même du feu[NdÉ 1] qui se fixe dans l’intérieur du fer, et qui contribue, encore plus que la bonne qualité ou la pureté du fer, à l’essence de l’acier ?

La trempe produit dans le fer et l’acier des changements qui n’ont pas encore été assez observés, et, quoiqu’on puisse ôter à tous deux l’impression de la trempe en les recuisant au feu, et les rendre à peu près tels qu’ils étaient avant d’avoir été trempés, il est pourtant vrai qu’en les trempant et les chauffant plusieurs fois de suite, on altère leur qualité. La trempe à l’eau froide rend le fer cassant ; l’action du froid pénètre à l’intérieur, rompt et hache le nerf, et le convertit en grains ; j’ai vu, dans mes forges, que les ouvriers accoutumés à tremper dans l’eau la partie de la barre qu’ils viennent de forger afin de la refroidir promptement, ayant dans un temps de forte gelée suivi leur habitude, et trempé toutes leurs barres dans l’eau presque glacée, elles se trouvèrent cassantes au point d’être rebutées des marchands : la moitié de la barre qui n’avait pas été trempée était de bon fer nerveux, tandis que l’autre moitié, qui avait été trempée à la glace, n’avait plus de nerf, et ne présentait qu’un mauvais grain. Cette expérience est très certaine, et ne fut que trop répétée chez moi ; car il y eut plus de deux cents barres dont la seconde moitié était la seule bonne, et l’on fut obligé de casser toutes ces barres par le milieu, et de reforger toutes les parties qui avaient été trempées, afin de leur rendre le nerf qu’elles avaient perdu.

À l’égard des effets de la trempe sur l’acier, personne ne les a mieux observés que M. Perret ; et voici les faits, ou plutôt les effets essentiels que cet habile architecte a reconnus[1]. « La trempe change la forme des pièces minces d’acier, elle les voile et les courbe en différents sens ; elle y produit des cassures et des gerçures ; ces derniers effets sont très communs, et néanmoins très préjudiciables : ces défauts proviennent de ce que l’acier n’est pas forgé avec assez de régularité, ce qui fait que, passant rapidement du chaud au froid, toutes les parties ne reçoivent pas avec égalité l’impression du froid. Il en est de même si l’acier n’est pas bien pur ou contient quelques corps étrangers ; ils produiront nécessairement des cassures… Le bon acier ne casse à la première trempe que quand il est trop écroui par le marteau ; celui qu’on n’écrouit point du tout, et qu’on ne forge que chaud, ne casse point à la première trempe, et l’on doit remarquer que l’acier prend du gonflement à chaque fois qu’on le chauffe… Plus on donne de trempe à l’acier, et plus il s’y forme de cassures ; car la matière de l’acier ne cesse de travailler à chaque trempe. L’acier fondu d’Angleterre se gerce de plusieurs cassures, et celui de Styrie non seulement se casse, mais se crible par des trempes réitérées… Pour prévenir l’effet des cassures, il faut chauffer couleur de cerise la pièce d’acier, et la tremper dans du suif en l’y laissant jusqu’à ce qu’elle ait perdu son rouge ; on peut, au lieu de suif, employer toute autre graisse ; elle produira le même effet, et préservera l’acier des cassures que la trempe à l’eau ne manque pas de produire. On donnera si l’on veut ensuite une trempe à l’ordinaire à la pièce d’acier, ou l’on s’en tiendra à la seule trempe du suif : l’artiste doit tâcher de conduire son travail de manière qu’il ne soit obligé de tremper qu’une fois ; car chaque trempe altère de plus en plus la matière

  1. Mémoire sur les effets des cassures que la trempe occasionne à l’acier, par M. Perret, correspondant de l’Académie de Béziers.
  1. Il n’y a pas de « substance du feu », la substance que Buffon nomme ici de la sorte est le carbone.