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qui, quoique brutes, font de bon acier, et qu’il ne faut que porter à la batterie pour y recevoir des chaudes successives et être mises sous le martinet qui leur donne la forme[1]. Il me paraît que le succès de cette opération tient essentiellement à ce que la fonte soit environnée d’une épaisseur de poudre de charbon, qui, de cette manière, produit une sorte de cémentation de la fonte et la sature de feu fixe[NdÉ 1], tout comme les bandes de fer forgé en sont saturées dans la cémentation proprement dite, dont nous allons exposer les procédés.

Cette conversion du fer en acier au moyen de la cémentation a été tentée par nombre d’artistes, et réussit assez facilement dans de petits fourneaux de chimie ; mais elle présente plusieurs difficultés lorsqu’on veut travailler en grand, et je ne sache pas que nous ayons en France d’autres fourneaux que celui de Néronville en Gâtinois, où l’on convertisse à la fois jusqu’à soixante-quinze et quatre-vingts milliers de fer en acier, et encore cet acier n’est peut-être pas aussi parfait que celui qu’on fait en Angleterre : c’est ce qui a déterminé le gouvernement à charger M. de Grignon de faire, dans mes forges et au fourneau de Néronville, des essais en grand, afin de connaître quelles sont les provinces du royaume dont les fers sont les plus propres à être convertis en acier par la voie de la cémentation : les résultats de ces expériences ont été imprimés dans le Journal de Physique du mois de septembre 1782 ; on en peut voir l’extrait dans la note ci-dessous[2] ; et voici ce que ma propre expérience m’avait fait connaître avant ces derniers essais.

  1. Voyez les Voyages métallurgiques de M. Jars, t. Ier, p. 61 et suiv., où ces procédés de la conversion de la fonte en acier, en Styrie et en Carinthie, sont détaillés très au long.
  2. En 1780, M. de Grignon fut chargé par le gouvernement de faire des expériences en grand pour déterminer quelles sont les provinces du royaume qui produisent les fers les plus propres à être convertis en acier par la cémentation. M. le comte de Buffon offrit ses forges et le grand fourneau qu’il avait fait construire pour les mêmes opérations, et on y fit arriver des fers du comté de Foix, du Roussillon, du Dauphiné, de l’Alsace, de la Franche-Comté, des Trois-Évêchés, de Champagne, du Berri, de Suède, de Russie et d’Espagne.

    Tous ces fers furent réduits au même échantillon, et placés dans la caisse de cémentation ; leur poids total était de quatre mille sept cent deux livres, et on les enveloppa de vingt-quatre pieds cubes de poudre de cémentation : on mit ensuite le feu au fourneau, et on le soutint pendant cent cinquante-sept heures consécutives, dont trente-sept heures de petit feu, vingt-quatre de feu médiocre, et quatre-vingt-seize heures d’un feu si actif, qu’il fondit les briques du revêtissement du fourneau, du diaphragme, des arceaux, et de la voûte supérieure où sont les tuyaux aspiratoires…

    Lorsque le fourneau fut refroidi, et que le fer fut retiré de la caisse, on en constata le poids, qui se trouva augmenté de soixante et une livres, mais une partie de cette augmentation de poids provient de quelques parcelles de matières du cément, qui restent attachées à la surface des barres. M. de Grignon, pour constater précisément l’accroissement du poids acquis par la cémentation, soumit, dans une expérience subséquente, cinq cents livres de fer en barres, bien décapé, et il fit écurer de même les barres au sortir de la cémentation, pour enlever la matière charbonneuse qui s’y était attachée, et il se trouva six livres et demie d’excédent, qui ne peut être attribué qu’au principe qui convertit le fer en acier, principe qui augmente non seulement le poids du fer, mais encore le volume de dix lignes et demie par cent pouces de longueur des barres, indépendamment du soulèvement de l’étoffe du fer qui forme les ampoules, que M. de Grignon, attribue à l’air, et même à l’eau interposée dans le fer ; et s’il était possible d’estimer le poids de cet air et de l’eau que la violente chaleur fait sortir du fer, le poids additionnel du principe qui se combine au fer, dans sa conversion en acier, se trouverait encore plus considérable.

    Le fourneau de Buffon, quoique très solidement construit, s’étant trouvé détruit par la

  1. L’acier est un carbure de fer contenant du silicium et du phosphore.