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un bain d’étain fondu et mêlé d’un peu de cuivre ; il faut auparavant recouvrir le bain de cet étain fondu avec une couche épaisse de suif ou de graisse pour empêcher la surface de l’étain de se réduire en chaux : cette graisse prépare aussi les surfaces du fer à bien recevoir l’étain, et on en retire la feuille presque immédiatement après l’avoir plongée pour laisser égoutter l’étain superflu ; après quoi, on la frotte avec du son sec, afin de la dégraisser, et enfin il ne reste plus qu’à dresser ces feuilles de fer étamées avec des maillets de bois, parce qu’elles se sont courbées et voilées par la chaleur de l’étain fondu.

On ne croirait pas que le fer le plus souple et le plus ductile fût en même temps celui qui se trouve le plus propre pour être converti en acier, qui, comme l’on sait, est d’autant plus cassant qu’il est plus parfait ; néanmoins, l’étoffe du fer, dont on veut faire l’acier par cémentation, doit être la même que celle du fer de filerie, et l’opération par laquelle on le convertit en acier ne fait que hacher les fibres nerveuses de ce fer et lui donner encore un plus grand degré de pureté, en même temps qu’il se pénètre et se charge de la matière du feu qui s’y fixe, je m’en suis assuré par ma propre expérience ; j’ai fait établir pour cela un grand fourneau d’aspiration et d’autres plus petits, afin de ménager la dépense de mes essais, et j’ai obtenu des aciers de bonne qualité, que quelques ouvriers de Paris ont pris pour de l’acier d’Angleterre ; mais j’ai constamment observé qu’on ne réussissait qu’autant que le fer était pur, et que, pour être assuré d’un succès constant, il fallait n’employer que des fers de la plus excellente qualité ou des fers rendus tels par un travail approprié ; car les fers ordinaires, même les meilleurs de ceux qui sont dans le commerce, ne sont pas d’une qualité assez parfaite pour être convertis par la cémentation en bon acier ; et si l’on veut ne faire que de l’acier commun, l’on n’a pas besoin de recourir à la cémentation, car, au lieu d’employer du fer forgé, on obtiendra de l’acier comme on obtient du fer avec la seule fonte, et seulement en variant les procédés du travail, et les multipliant à l’affinerie et au marteau[1].

On doit donc distinguer des aciers de deux sortes : le premier, qui se fait avec la fonte de fer ou avec le fer même, et sans cémentation ; le second, que l’on fait avec le fer, en employant un cément ; tous deux se détériorent également, et perdent leur qualité par des

  1. Pour obtenir de l’acier avec la fonte de fer, on met dans le foyer beaucoup de petits charbons et du poussier que l’on humecte, afin qu’il soit plus adhérent, et des scories légères et fluides… On presse davantage la fusion… Le bain est toujours couvert de scories, et on ne les fait point écouler… De cette manière, la matière du fer reposant sur du charbon en a le contact immédiat par-dessous… La force et la violence du feu achève de séparer les parties terreuses, qui, rencontrant les scories, font corps avec elles et s’y accrochent ; mais le déchet est plus grand, car on n’obtient en acier que la moitié de la fonte, tandis qu’en fer on en obtient les deux tiers.

    À mesure que l’acier est purgé de ses parties terreuses, il résiste davantage au feu et se durcit ; lorsqu’il a acquis une consistance suffisante à pouvoir être coupé et à supporter les coups de marteau, l’opération est finie, on le retire ; mais le fer et l’acier que l’on retire ainsi de ces deux opérations sont rarement purs et assez bons pour tous les usages du commerce… Car l’acier que l’on retire du fer de fonte peut être uni à quelques portions de fer qui le rende inégal, de sorte qu’il n’aura pas la même dureté dans toutes les parties… Cependant on n’en fait pas d’autre en Allemagne, et c’est pourquoi l’on préfère les limes d’Angleterre, qui sont d’acier de fonte… Pour faire l’acier cémenté, il ne faut employer que du fer de bonne qualité, et tout fer qui est difficile à souder, qui se gerce ou qui est pailleux, doit être rejeté. Voyages métallurgiques de M. Jars, p. 24 et suiv… Le même M. Jars, après avoir donné ailleurs la méthode dont on se sert en Suède pour tirer de l’acier par la fonte, ajoute que les Anglais tirent de Danemora le fer qu’ils convertissent en acier par cémentation, qu’ils le payent quinze livres par cent de plus que les autres fers, que ce fer de Danemora est marqué O O, et que les Suédois ne sont pas encore parvenus à faire d’aussi bon acier cémenté que les Anglais. Idem, p. 28 et suiv.