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que les canons de fusil ne doivent pas être faits, comme on pourrait l’imaginer, avec du fer qui aurait acquis toute sa perfection, mais seulement avec du fer qui puisse encore en acquérir par le feu qu’il doit subir pour prendre la forme d’un canon de fusil.

Mais revenons au fer qui vient d’être forgé, et qu’on veut préparer pour d’autres usages encore plus communs : si on le destine à être fendu dans sa longueur pour en faire des clous et autres menus ouvrages, il faut que les bandes n’aient que de cinq à huit lignes d’épaisseur sur vingt-cinq à trente de largeur ; on met ces bandes de fer dans un fourneau de réverbère qu’on chauffe au feu de bois, et lorsqu’elles ont acquis un rouge vif de feu, on les tire du fourneau et on les fait passer, les unes après les autres, sous les espatards ou cylindres pour les aplatir, et ensuite sous des taillants d’acier, pour les fendre en longues verges carrées de trois, cinq et six lignes de grosseur ; il se fait une prodigieuse consommation de ce fer en verge, et il y a plusieurs forges en France, où l’on en fait annuellement quelques centaines de milliers. On préfère, pour le feu de ce fourneau ou four de fenderie, les bois blancs et mous aux bois de chêne et autres bois durs, parce que la flamme en est plus douce, et que le bois de chêne contient de l’acide qui ne laisse pas d’altérer un peu la qualité du fer : c’est par cette raison qu’on doit, autant qu’on le peut, n’employer le charbon de chêne qu’au fourneau de fusion, et garder les charbons de bois blanc pour les affineries et pour les fourneaux de fenderie et de batterie ; car la cuisson du bois de chêne en charbon ne lui enlève pas l’acide dont il est chargé, et en général le feu du bois radoucit l’aigreur du fer, et lui donne plus de souplesse et un peu plus de ductilité qu’il n’en avait au sortir de l’affinerie dont le feu n’est entretenu que par du charbon. L’on peut faire passer à la fenderie des fers de toute qualité : ceux qui sont les plus aigres servent à faire de petits clous à lattes qui ne plient pas, et qui doivent être plutôt cassants que souples ; les verges de fer doux sont pour les clous des maréchaux, et peuvent être passées par la filière pour faire du gros fil de fer, des anses de chaudières, etc.

    faites, laquelle était entièrement de très beau nerf ; on a tiré une maquette au bout de cette barre, sans la plier et corroyer, laquelle s’est trouvée de nerf avec un peu de grain ; ayant plié et corroyé le reste de cette barre dont on fit une maquette, elle a montré moins de nerf et plus de grains que celle qui n’avait pas été corroyée : suivons cette opération ; la barre était toute de nerf ; la maquette, tirée au bout sans la doubler, avait déjà un peu de grains ; celle tirée de la même barre pliée et corroyée, avait encore plus de grains, et enfin un canon, provenant de cette barre pliée et corroyée, était tout de grains larges et brillants comme le mauvais fer, et elle a cassé comme du verre. Néanmoins je ne prétends pas conclure de ce que je viens d’avancer, qu’on doive préférer pour la fabrication des canons de fusil le fer aigre et cassant, je suis bien loin de le penser ; mais je crois pouvoir assurer, d’après un usage journalier et constant, que le fer le plus propre à cette fabrication est celui qui présente, en le cassant à froid, le tiers ou la moitié du nerf, et les deux autres tiers ou la moitié de grains d’une bonne espèce, petits, sans ressembler à ceux de l’acier, et blancs en tirant sur le gris ; la partie nerveuse se détruit ou s’altère aux différents feux successifs que le fer essuie sur chaque point, et la partie de grains devient nerveuse en s’étendant sous le marteau, et remplace l’autre.

    Les axes de fer, qui supportent nos meules de grès, pesant sept à huit milliers, étant faits de différentes mises rapportées et soudées les unes après les autres, on a grand soin de mélanger, pour les fabriquer, des fers de grains et de nerf ; si l’on n’employait que celui de nerf, il n’y a point d’axe qui ne cassât.

    Le canon de fusil qui résulte du fer, ainsi mi-partie de grains et de nerf, est excellent et résistera à de très vives épreuves… Si l’on a des ouvrages à faire avec du fer préparé en échantillon, de manière que quelques chaudes douces suffisent pour fabriquer la pièce, le fer de nerf doit être préféré à tous les autres, parce qu’on ne risque pas de l’altérer par des chaudes vives et répétées, qui sont nécessaires pour souder. (Suite de la note communiquée par M. de Montbeillard, lieutenant-colonel d’artillerie.)