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des canons de fusil, ainsi qu’on le pratique depuis longtemps en Espagne. Comme c’est un des emplois du fer qui demandent le plus de précaution, et que l’on n’est pas d’accord sur la qualité des fers qu’il faut préférer pour faire de bons canons de fusil, j’ai tâché de prendre sur cela des connaissances exactes, et j’ai prié M. de Montbeillard, lieutenant-colonel d’artillerie et inspecteur des armes à Charleville et Maubeuge, de me communiquer ce que sa longue expérience lui avait appris à ce sujet : on verra, dans la note ci-dessous[1],

    paillettes ou exfoliations : après avoir successivement rechargé de charbon et de pailles de fer pendant une heure et demie, j’ai fait découvrir l’ouvrage. J’ai observé que ces pailles, qui sont aussi déliées que du talc, trempées par l’air, très légères et très cassantes, n’étant pas assez solides pour se fixer et s’unir ensemble, devaient être entièrement détruites pour la plupart ; les autres formaient de petites masses éparpillées, qui n’ont pu se joindre et former une seule loupe, comme le font les ferrailles qui ont du corps et de la consistance. J’ai fait jeter dans l’eau froide une de ces petites masses, prise dans le creuset, et l’ayant mise au feu d’une petite forge au charbon de terre, et battue à petits coups lorsqu’elle a été couleur de cerise, toutes les parties s’en sont réunies. Je l’ai fait chauffer encore au même degré, et battre de même, après quoi on l’a chauffée blanc et étirée ; on l’a cassée lorsqu’elle a été refroidie, et il s’est trouvé un fer parfait et tout de nerf.

    Si l’on veut réunir ces pailles dans le creuset et en former une seule loupe, il faut les mêler avec un sixième ou plus de ferrailles, qui, tombant les premières, serviront de base sur laquelle elles se fixeront au lieu de s’éparpiller, et feront corps avec elles. Sans cette précaution, l’extrême légèreté de ces écailles ne leur permettant pas d’opposer à l’agitation violente de l’intérieur du creuset une résistance suffisante, une partie sera entièrement détruite, et le reste se dispersera et ne pourra se réunir qu’en petites masses, comme cela est arrivé ; mais il résulte toujours de ces deux expériences que ces écailles, pailles ou lames, comme on voudra les appeler, sont de fer, et qu’elles ne peuvent en aucune manière et dans aucun cas empêcher la soudure de deux parties de fer qu’on veut réunir. (Note communiquée par M. de Montbeillard, lieutenant-colonel d’artillerie, au mois de mai 1770.)

  1. Le fer qui passe pour le plus excellent, c’est-à-dire d’une belle couleur blanche tirant sur le gris, entièrement composé de nerfs ou de couches horizontales, sans mélange de grains, est de tous les fers celui qui convient le moins : observons d’abord qu’on chauffe la barre à blanc pour en faire la maquette, qui est chauffée à son tour pour faire la lame à canon ; cette lame est ensuite roulée dans sa longueur, et chauffée blanche à chaque pouce et demi deux ou trois fois, et souvent plus, pour souder le canon ; que peut-il résulter de toutes ces chaudes ainsi multipliées sur chaque point, et qui sont indispensables ? Nous avons supposé le fer parfait et tout de nerf : s’il est parfait, il n’a plus rien à gagner, et l’action d’un feu aussi violent ne peut que lui fait perdre de sa qualité, qu’il ne reprend jamais en entier, malgré le recuit qu’on lui donne. Je conçois donc que le feu, dirigé par le vent des soufflets, coupe les nerfs en travers, qui deviennent des grains d’une espèce d’autant plus mauvaise que le fer a été chauffé blanc plus souvent, et par conséquent plus desséché : j’ai fait quelques expériences qui confirment bien cette opinion. Ayant fait tirer plusieurs lames à canon du carré provenu de la loupe à l’affinerie et les ayant cassées à froid, je les trouvai toutes de nerf et de la plus belle couleur ; je fis faire un morceau de barre à la suite du même lopin, duquel je fis faire des lames à canon, qui, cassées à froid, se trouvèrent mi-parties de nerf et de grains : ayant fait tirer une barre du reste du carré, je le pliai à un bout et la corroyai, et en ayant fait faire des maquettes et ensuite des lames, elles ne présentèrent plus que des grains à leur fracture et d’une qualité médiocre…

    Étant aux forges de Mouzon, je fis faire une maquette et une lame au bout d’une barre de fer, presque toutes d’un bon grain avec très peu de nerf ; l’extrémité de la lame cassée à froid a paru mêlée de beaucoup de nerf, et le canon qui en a été fabriqué a plié comme de la baleine ; on ne l’a cassé qu’à l’aide du ciselet et avec la plus grande difficulté : la fracture était toute de nerf.

    Ayant vu un canon qui cassa comme du verre, en le frappant sur une enclume, et qui montrait en totalité de très gros et vilains grains, sans aucune partie de nerf, on m’a présenté la barre avec laquelle la maquette et la lame qui avaient produit ce canon avaient été