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faire avec le feu le plus violent qu’une fonte aigre et cassante, on soit parvenu, à force d’autres feux et de machines appropriées, à tirer et réduire en fils déliés cette matière revêche, qui ne devient métal et ne prend de la ductilité que sous les efforts de nos mains.

Parcourons, sans trop nous arrêter, la suite des opérations qu’exigent ces travaux. Nous avons indiqué ceux de la fusion des mines : on coule la fonte en gros lingots ou gueuses dans un sillon de quinze à vingt pieds de longueur, sur sept ou huit pouces de profondeur, et ordinairement on les laisse se coaguler et se refroidir dans cette espèce de moule qu’on a soin d’humecter auparavant avec de l’eau ; les surfaces inférieures du lingot prennent une trempe par cette humidité, et sa surface supérieure se trempe aussi par l’impression de l’air : la matière en fusion demeure donc encore liquide dans l’intérieur du lingot, tandis que ses faces extérieures ont déjà pris de la solidité par le refroidissement ; l’effort de cette chaleur, beaucoup plus forte en dedans et au centre qu’à la circonférence du lingot, le force à se courber, surtout s’il est de fonte blanche, et cette courbure se fait dans le sens où il y a le moins de résistance, c’est-à-dire en haut, parce que la résistance est moindre qu’en bas et vers les côtés ; on peut voir, dans mes Mémoires[1], combien de temps la matière reste liquide à l’intérieur après que les surfaces se sont consolidées.

D’ordinaire, on laisse la gueuse ou lingot se refroidir au moule pendant six ou sept heures ; après quoi, on l’enlève, et on est obligé de le faire peser pour payer un droit très onéreux d’environ six livres quinze sous par millier de fonte, ce qui fait plus de dix livres par chaque millier de fer ; c’est le double du salaire de l’ouvrier, auquel on ne paye que cinq livres pour la façon d’un millier de fer ; et d’ailleurs, ce droit que l’on perçoit sur les fontes cause encore une perte réelle, et une grande gêne, par la nécessité où l’on est de laisser refroidir le lingot pour le peser, ce que l’on ne peut faire tant qu’il est rouge de feu ; au lieu qu’en le tirant du moule au moment qu’il est consolidé, et le mettant sur des rouleaux de pierre pour entrer encore rouge au feu de l’affinerie, on épargnerait tout le charbon que l’on consomme pour le réchauffer à ce point lorsqu’il est refroidi ; or un impôt, qui non seulement grève une propriété d’industrie qui devrait être libre, telle que celle d’un fourneau, mais qui gêne encore le progrès de l’art, et force en même temps à consommer plus de matière combustible qu’il ne serait nécessaire, cet impôt, dis-je, a-t-il été bien assis, et doit-il subsister sous une administration éclairée ?

Après avoir tiré du moule le lingot refroidi, on le fait entrer, par l’une de ses extrémités, dans le feu de l’affinerie où il se ramollit peu à peu, et tombe ensuite par morceaux, que le forgeron réunit et pétrit avec des ringards pour en faire une loupe de soixante à quatre-vingts livres de poids ; dans ce travail, la matière s’épure et laisse couler des scories par le fond du foyer. Enfin, lorsqu’elle est assez pétrie, assez maniée et chauffée jusqu’au blanc, on la tire du feu de l’affinerie avec de grandes tenailles, et on la jette sur le sol pour la frapper de quelques coups de masse, et en séparer, par cette première percussion, les scories qui souvent s’attachent à sa surface, et en même temps pour en rapprocher toutes les parties intérieures, et les préparer à recevoir la percussion plus forte du gros marteau, sans se détacher ni se séparer ; après quoi, on porte avec les mêmes tenailles cette loupe sous un marteau de sept à huit cents livres pesant, et qui peut frapper jusqu’à cent dix et cent vingt coups par minute, mais dont on ménage le mouvement pour cette première fois, où il ne faut que comprimer la masse de la loupe par des coups assez lents ; car, dès qu’elle a perdu son feu vif et blanc, on la reporte au foyer de l’affinerie pour lui donner une seconde chaude ; elle s’y épure encore et laisse couler de nouveau quelques scories, et lorsqu’elle est une seconde fois chauffée à blanc, on la porte de même du foyer sur l’enclume, et on donne au marteau un mouvement de plus en plus

  1. Voyez le Mémoire sur la fusion des Mines de fer, t. II.