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Cette fonte refondue ou ce régule de fer pèse plus de cinq cent trente livres le pied cube ; et, comme le fer forgé pèse cinq cent quarante-cinq ou cinq cent quarante-six livres, et que la meilleure fonte ne pèse que cinq cent douze, on voit que le régule est dans l’état intermédiaire et moyen entre la fonte et le fer : on peut donc être assuré que les canons faits avec ce régule non seulement résisteront à l’effort des charges ordinaires, mais qu’ayant en même temps un peu de ductilité, ils se fendront au lieu d’éclater à de trop fortes charges.

On doit préférer ces nouveaux fourneaux d’aspiration à nos fourneaux ordinaires, parce qu’il ne serait pas possible de refondre la fonte en gros morceaux dans ces derniers, et qu’il y a un grand avantage à se servir des premiers, que l’on peut placer où l’on veut, et sur des plans élevés où l’on a la facilité de creuser des fosses profondes, pour établir le moule du canon sans craindre l’humidité ; d’ailleurs, il est plus court et plus facile de réduire la fonte en régule par une seconde fusion que par un très long séjour dans le creuset des hauts fourneaux : ainsi l’on a très bien fait d’adopter cette méthode pour fondre les pièces d’artillerie de notre marine[1].

La fonte, épurée autant qu’elle peut l’être dans un creuset, ou refondue une seconde fois, devient donc un régule qui fait la nuance ou l’état mitoyen entre la fonte et le fer : ce régule, dans sa première fusion, coule à peu près comme la fonte ordinaire ; mais, lorsqu’il est une fois refroidi, il devient presque aussi infusible que le fer : le feu des volcans a quelquefois formé de ces régules de fer, et c’est ce que les minéralogistes ont appelé mal à propos fer natif ; car, comme nous l’avons dit, le fer de nature est toujours mêlé de matières vitreuses, et n’existe que dans les roches ferrugineuses produites par le feu primitif.

La fonte de fer tenue très longtemps dans le creuset, sans être agitée et remuée de temps en temps, forme quelquefois des boursouflures ou cavités dans son intérieur où la matière se cristallise[2]. M. de Grignon est le premier qui ait observé ces cristallisations

    grandeur et dans la même exposition ; il coule avec un seul fourneau les canons de douze, mais il a toujours un fourneau près de la fonte, duquel il peut se servir pour achever le canon, et le surplus de la fonte du second fourneau s’emploie à couler de petits canons ; on ne fait pour cela que détourner le jet lorsque le plus gros canon est coulé. » (Extrait d’une lettre de M. de la Belouze à M. de Buffon, datée de Paris, le 31 juillet 1781.)

  1. La fonderie royale que le ministre de la marine vient de faire établir près de Nantes, en Bretagne, démontre la supériorité de cette méthode sur toutes celles qui étaient en usage auparavant, et qui étaient sujettes aux inconvénients dont nous venons de faire mention.
  2. M. de Grignon rejette avec raison l’opinion de M. Romé Delisle, qui, dans sa Cristallographie, prétend « que l’eau, tenue dans son état de fluidité et aidée du secours de l’air, est le principal et peut-être l’unique instrument de la nature dans la formation des cristaux métalliques ; qu’on ne peut attribuer la génération des cristaux métalliques à des fusions violentes qui s’opèrent dans le sein de la terre, au moyen des feux souterrains que l’on y suppose ; qu’inutilement on tenterait d’imiter ces cristaux dans nos laboratoires par le secours du feu ou par la voie sèche, plutôt que par la voie humide ; qu’il ne faut pas confondre les figures ébauchées par l’art avec les vraies formes cristallines, qui sont le produit d’une opération lente de la nature par l’intermède de l’eau. » Cristallographie, p. 321 et 322. — M. de Grignon oppose à cela des faits évidents : il a trouvé un morceau de fer niché dans une masse de fonte et de laitier, qui est restée en fusion pendant plusieurs jours, et dont le refroidissement a été prolongé pendant plus de quinze dans son fourneau… On voyait dans ce morceau deux cristaux cubiques de régule de fer, et la partie du milieu était formée d’une multitude de petits cristaux de fonte de fer, que l’on peut regarder comme les éléments des plus grands : ces petits cristaux étaient tous absolument semblables et fort réguliers dans toutes leurs parties… ils ne différaient entre eux que par le volume…

    Cet exemple fait voir, comme le dit M. de Grignon, que l’on peut parvenir à la géné-