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dans nos hauts fourneaux à soufflets, parce qu’elle s’y épure davantage que dans ceux de réverbère.

Cette fonte, faite dans des fourneaux de réverbère, peut utilement être employée aux ouvrages moulés ; mais, comme elle n’est pas assez épurée, on ne doit pas s’en servir pour les canons d’artillerie : il faut au contraire la fonte la plus pure, et j’ai dit ailleurs[1] qu’avec des précautions et une bonne conduite au fourneau on pouvait épurer la fonte, au point que les pièces de canon, au lieu de crever en éclats meurtriers, ne feraient que se fendre par l’effet d’une trop forte charge, et dès lors résisteraient sans peine et sans altération à la force de la poudre aux charges ordinaires.

Cet objet, étant de grande importance, mérite une attention particulière : il faut d’abord bannir le préjugé où l’on était qu’il n’est pas possible de tenir la fonte de fer en fusion pendant plus de quinze ou vingt heures, qu’en la gardant plus longtemps elle se brûle, qu’elle peut aussi faire explosion, qu’on ne peut donner au creuset du fourneau une assez grande capacité pour contenir dix ou douze milliers de fonte, que ces trop grandes dimensions du creuset et de la cuve du fourneau en altéreraient ou même en empêcheraient le travail, etc. : toutes ces idées, quoique très peu fondées et pour la plupart fausses, ont été adoptées ; on a cru qu’il fallait deux et même trois hauts fourneaux pour pouvoir couler une pièce de trente-six et même de vingt-quatre, afin de partager en deux ou même en trois creusets la quantité de fonte nécessaire, et ne la tenir en fusion que dix-huit ou vingt heures ; mais, indépendamment des mauvais effets de cette méthode dispendieuse et mal conçue, je puis assurer que j’ai tenu pendant quarante-huit heures sept milliers de fonte en fusion dans mon fourneau sans qu’il soit arrivé le moindre inconvénient, sans qu’elle ait bouillonné plus qu’à l’ordinaire, sans qu’elle se soit brûlée, etc.[2], et que j’ai

  1. Voyez la partie expérimentale, t. II, Mémoire sur les moyens de perfectionner les canons de fonte de fer.
  2. Ayant fait part de mes observations à M. le vicomte de Morogues, et lui ayant demandé le résultat des expériences faites à la fonderie de Ruelle en Angoumois, voici l’extrait des réponses qu’il eut la bonté de me faire :

    « On a fondu à Ruelle des canons de vingt-quatre à un seul fourneau ; le creuset devait contenir sept mille cinq cents ou huit mille de matière ; la fusion de la fonte ne peut pas être égale dans deux fourneaux différents, et c’est ce qui doit déterminer à ne couler qu’à un seul fourneau.

    » On emploie environ quarante-huit heures pour la fusion de sept mille cinq cents ou huit mille de matière pour un canon de vingt-quatre, et l’on emploie vingt-trois à vingt-quatre heures pour la fusion de trois mille cinq cents pour un canon de huit ; ainsi, la fonte du gros canon ayant été le double du temps dans le creuset, il est évident qu’elle a dû se purifier davantage.

    » Il n’est pas à craindre que la fonte se brûle lorsqu’elle est une fois en bain dans le creuset. À la vérité, lorsqu’il y a trop de charbon, et par conséquent trop de feu et trop peu de mine dans le fourneau, elle se brûle en partie, au lieu de fondre en entier ; la fonte qui en résulte est brune, poreuse et bourrue, et n’a pas la consistance ni la dureté d’une bonne fonte : seulement il faut avoir attention que la fonte dans le bain soit toujours couverte d’une certaine quantité de laitier. Cette fonte bourrue, dont nous venons de parler, est douce et se fore aisément ; mais comme elle a peu de densité, et par conséquent de résistance, elle n’est pas bonne pour les canons.

    » La fonte grise à petits grains doit être préférée à la fonte trop brune, qui est trop tendre, et à la fonte blanche à gros grains, qui est trop dure et trop impure.

    » Il faut laisser le canon refroidir lentement dans son moule, pour éviter la sorte de trempe qui ne peut que donner de l’aigreur à la matière du canon : bien des gens croient néanmoins que cette surface extérieure, qui est la plus dure, donne beaucoup de force au canon.

    » Il n’y a pas longtemps que l’on tourne les pièces de canon ; et qu’on les coule pleines