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Il en coûte donc plus au fourneau et à l’affinerie, pour obtenir du bon fer, que pour en faire du mauvais, et j’estime qu’avec la même mine la différence peut aller à un quart en sus ; si la fabrication du mauvais fer coûte cent francs par millier, celle du bon fer coûtera cent vingt-cinq livres et, malheureusement, dans le commerce, on ne paye guère que dix livres de plus le bon fer, et souvent même on le néglige pour n’acheter que le mauvais ; cette différence serait encore plus grande si l’on ne regagnait pas quelque chose dans la conversion de la bonne fonte en fer ; il n’en faut qu’environ quatorze cents pesant, tandis qu’il faut au moins quinze, et souvent seize cents d’une mauvaise fonte, pour faire un millier de fer. Tout le monde pourrait donc faire de la bonne fonte et fabriquer du bon fer ; mais l’impôt dont il est grevé force la plupart de nos maîtres de forges à négliger leur art, et à ne rechercher que ce qui peut diminuer la dépense et augmenter la quantité, ce qui ne peut se faire qu’en altérant la qualité. Quelques-uns d’entre eux, pour épargner la mine, s’étaient avisés de faire broyer les crasses ou scories qui sortent du foyer de l’affinerie et qui contiennent une certaine quantité de fer intimement mêlé avec des matières vitrifiées : par cette addition, ils trouvèrent d’abord un bénéfice considérable en apparence, le fourneau rendait beaucoup plus de fonte ; mais elle était si mauvaise qu’elle perdait à l’affinerie ce qu’elle avait gagné au fourneau, et qu’après cette perte, qui compensait le bénéfice ou plutôt le réduisait à rien, il y avait encore tout à perdre sur la qualité du fer, qui participait de tous les vices de cette mauvaise fonte ; ce fer était si cendreux, si cassant, qu’il ne pouvait être admis dans le commerce.

Au reste, le produit en fer que peut donner la fonte dépend aussi beaucoup de la manière de la traiter au feu de l’affinerie : « J’ai vu, dit M. de Grignon, dans les forges du bas Limousin, faire avec la même fonte deux sortes de fer : le premier doux, d’excellente qualité et fort supérieur à celui du Berri ; on y emploie quatorze cents livres de fonte ; le second est une combinaison de fer et d’acier pour les outils aratoires, et l’on n’emploie que douze cents livres de fonte pour obtenir un millier de fer ; mais on consomme un sixième de plus de charbon que pour le premier ; cette différence ne provient que de la manière de poser la tuyère et de préserver le fer du contact immédiat du vent[1]. » Je pense qu’en effet, si l’on pouvait, en affinant la fonte, la tenir toujours hors de la ligne du vent et environnée de manière qu’elle ne fût point exposée à l’action de l’air, il s’en brûlerait beaucoup moins, et qu’avec douze cents, ou tout au plus treize cents livres de fonte, on obtiendrait un millier de fer.

La mine la plus pure, celle même dont on a trié les grains un à un, est souvent intimement mêlée de particules d’autres métaux ou demi-métaux, et particulièrement de cuivre et de zinc : ce premier métal, qui est fixe, reste dans la fonte, et le zinc, qui est volatil, se sublime ou se brûle[2].

    poreuse que l’autre fonte, et plus douce à la lime ; elle s’égrène plus facilement, mais se casse plus difficilement ; elle est très dure à fondre, mais elle donne un bon fer nerveux ; ses cristaux sont de la même forme que ceux de la fonte grise, mais seulement plus courts. Cette fonte brune ou noire ne réussit pas pour mouler des pièces minces, parce qu’elle ne prend pas bien les impressions ; mais elle est très bonne pour de grosses pièces de résistance, comme tourillons, colliers d’arbres, etc. Il se forme beaucoup d’écailles minces et de limailles sur cette fonte noire, poreuse et soufflée : cette limaille est assez semblable à du mica noir ou au sablon ferrugineux qui se trouve dans quelques mines, et qui ressemble aussi au sablon ferrugineux de la platine ; ces petites lames sont autant de parcelles atténuées du régule de fer. Mémoires de Physique, par M. de Grignon, p. 60 et suiv.

  1. Lettre de M. le chevalier de Grignon à M. le comte de Buffon, datée de Paris, le 29 juillet 1782.
  2. Il s’élève beaucoup de vapeurs qui s’étendent à une grande hauteur au-dessus du gueulard d’un fourneau où l’on fond la mine de fer ; cette vapeur prend feu au bord de la surface