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et, comme il faut dix-huit à vingt ans d’âge au bois pour être converti en bon charbon, on doit compter qu’avec deux cent cinquante arpents de bois bien économisés, l’on peut faire annuellement six cents ou six cent cinquante milliers de fer ; il faut donc, pour l’entretien d’un pareil établissement, qu’il y ait au moins dix-huit fois deux cent cinquante ou quatre mille cinq cents arpents à portée, c’est-à-dire à deux ou trois lieues de distance, indépendamment d’une quantité égale ou plus grande pour la consommation du pays. Dans toute autre position, l’on ne pourra faire que trois ou quatre cents milliers de fer par la rareté des bois, et toute forge qui ne produirait pas trois cents milliers de fer par an ne vaudrait pas la peine d’être établie ni maintenue : or c’est le cas d’un grand nombre de ces établissements faits dans les temps où le bois était plus commun, où on ne le tirait pas par le flottage des provinces éloignées de Paris, où, enfin, la population étant moins grande, la consommation du bois, comme de toutes les autres denrées, était moindre ; mais, maintenant que toutes ces causes et notre plus grand luxe ont concouru à la disette du bois, on sera forcé de s’attacher à la recherche de ces anciennes forêts enfouies dans le sein de la terre, et qui, sous une forme de matière minérale, ont retenu tous les principes de la combustibilité des végétaux, et peuvent les suppléer non seulement pour l’entretien des feux et des fourneaux nécessaires aux arts, mais encore pour l’usage des cheminées et des poêles de nos maisons, pourvu qu’on donne à ce charbon minéral les préparations convenables.

Les mines en rouille ou en ocre, celles en grains et les mines spathiques ou en concrétions, sont les seules qu’on puisse encore traiter avantageusement dans la plupart de nos provinces de France, où le bois n’est pas fort abondant ; car, quand même on y découvrirait des mines de fer primitif, c’est-à-dire de ces roches primordiales, telles que celles des contrées du Nord, dans lesquelles la substance ferrugineuse est intimement mêlée avec la matière vitreuse, cette découverte nous serait peu utile, attendu que le traitement de ces mines exige près du double de consommation de matière combustible, puisqu’on est obligé de les faire griller au feu pendant quinze jours ou trois semaines avant de pouvoir les concasser et les jeter au fourneau ; d’ailleurs, ces mines en roche, qui sont en masses très dures, et qu’il faut souvent tirer d’une grande profondeur, ne peuvent être exploitées qu’avec de la poudre et de grands feux qui les ramollissent et les font éclater : nous aurions donc un grand avantage sur nos concurrents étrangers si nous avions autant de matières combustibles ; car avec la même quantité nous ferions le double de ce qu’ils peuvent faire, puisque l’opération du grillage consomme presque autant de combustible que celle de la fusion ; et, comme je l’ai souvent dit, il ne tient qu’à nous d’avoir d’aussi bon fer que celui de Suède, dès qu’on ne sera pas forcé, comme on l’est aujourd’hui, de trop épargner le bois, ou que nous pourrons y suppléer par l’usage du charbon de terre épuré.

La bonne qualité du fer provient principalement du traitement de la mine avant et après sa mise au fourneau : si l’on obtient une très bonne fonte, on sera déjà bien avancé pour faire d’excellent fer. Je vais indiquer, le plus sommairement qu’il me sera possible, les moyens d’y parvenir, et par lesquels j’y suis parvenu moi-même, quoique je n’eusse sous ma main que des mines d’une très médiocre qualité.

Il faut s’attacher, dans l’extraction des mines en grains, aux endroits où elles sont les plus pures : si elles ne sont mêlées que d’un quart, ou d’un tiers de matière étrangère, on

    charbon de chêne, employé à l’affinerie, rend le fer cassant ; mais, au fourneau de fusion, c’est de tous les charbons celui qui porte le plus de mine, ensuite c’est le charbon de hêtre, celui de sapin et celui de châtaignier, qui de tous en porte le moins, et doit être réservé, avec les bois blancs, pour l’affinerie. On doit tenir sèchement et à couvert tous les charbons ; ceux de bois blancs surtout s’altèrent à l’air et à la pluie dans très peu de temps ; le charbon des jeunes chênes, depuis dix-huit jusqu’à trente ans d’âge, est celui qui brûle avec le plus d’ardeur.