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liquéfiée, qui, par ce travail, s’épure et laisse couler par le fond du foyer une partie de la matière hétérogène que le feu du fourneau de fusion n’avait pu séparer ; ensuite l’on porte cette loupe ardente sous le marteau, où la force de la percussion fait sortir de sa masse encore molle le reste des substances impures qu’elle contenait ; et ces mêmes coups redoublés du marteau rapprochent et réunissent, en une masse solide et plus allongée, les parties de ce fer que l’on vient d’épurer, et qui ne prennent qu’alors la forme et la ductilité du métal.

Ce sont là les procédés ordinaires dans le travail de nos forges, et, quoiqu’ils paraissent assez simples, ils demandent de l’intelligence et supposent de l’habitude et même des attentions suivies. L’on ne doit pas traiter autrement les mines pauvres qui ne donnent que trente ou même quarante livres de fonte par quintal ; mais avec des mines riches en métal, c’est-à-dire avec celles qui donnent soixante-dix, soixante ou même cinquante-cinq pour cent, on peut obtenir du fer et même de l’acier sans faire passer ces mines par l’état d’une fonte liquide et sans les couler en lingots : au lieu des hauts fourneaux entretenus en feu sans interruption pendant plusieurs mois, il ne faut pour ces mines riches que de petits fourneaux qu’on charge et vide plusieurs fois par jour ; on leur a donné le nom de fourneaux à la catalane, ils n’ont que trois ou quatre pieds de hauteur ; ceux de Styrie en ont dix ou douze, et, quoique la construction de ces fourneaux à la catalane et de ceux de Styrie soit différente, leur effet est à peu près le même ; au lieu de gueuses ou lingots d’une fonte coulée, on obtient dans ces petits fourneaux des massets ou loupes formées par coagulation, et qui sont assez épurées pour qu’on puisse les porter sous le marteau au sortir de ces fourneaux de liquation ; ainsi, la matière de ces massets est bien plus pure que celle des gueuses, qu’il faut travailler et purifier au feu de l’affinerie avant de les mettre sur l’enclume. Ces massets contiennent souvent de l’acier, qu’on a soin d’en séparer, et le reste est du bon fer ou du fer mêlé d’acier. Voilà donc de l’acier et du fer, tous deux produits par le seul régime du feu et sans que l’ouvrier en ait pétri la matière pour la dépurer ; et de même, lorsque dans les hauts fourneaux on laisse quelques parties de fonte se recuire au feu pendant plusieurs semaines, cette fonte, d’abord mêlée d’un tiers ou d’un quart de substances étrangères, s’épure au point de devenir un vrai régule de fer qui commence à prendre de la ductilité : ainsi la nature a pu et peut encore, par le feu des volcans, produire des fontes et des régules de fer semblables à ceux que nous obtenons dans ces fourneaux de liquation sans le secours du marteau ; et c’est à cette cause qu’on doit rapporter la formation de ces morceaux de fer ou d’acier qu’on a regardés comme natifs, et qui, quoique très rares, ont suffi pour faire croire que c’était là le vrai fer de la nature, tandis que dans la réalité elle n’a formé, par son travail primitif, que des roches ferrugineuses, toutes plus impures que les fontes de notre art.

Nous donnons dans la suite les procédés par lesquels on peut obtenir des fontes, des aciers et des fers de toutes qualités ; l’on verra pourquoi les mines de fer riches peuvent être traitées différemment des mines pauvres ; pourquoi la méthode catalane, celle de Styrie et d’autres, ne peuvent être avantageusement employées à la fusion de nos mines en grains ; pourquoi, dans tous les cas, nous nous servons du marteau pour achever de consolider le fer, etc. Il nous suffit ici d’avoir démontré par les faits que le feu primitif n’a point produit de fer pur semblable à notre fer forgé ; mais que la quantité tout entière de la matière de fer s’est mêlée, dans le temps de la consolidation du globe, avec les substances vitreuses, et que c’est de ce mélange que sont composées les roches primordiales de fer et d’aimant ; qu’enfin, si l’on tire quelquefois du sein de la terre des morceaux de fer, leur formation, bien postérieure, n’est due qu’à la main de l’homme ou à la rencontre fortuite d’une mine de fer dans le gouffre du volcan.

Reprenant donc l’ordre des premiers temps, nous jugerons aisément que les roches ferrugineuses se sont consolidées presque en même temps que les rochers graniteux se sont