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en prouvant que[1] le fer ne prend de la ductilité que parce qu’il a été comprimé par le marteau : c’est autant la main de l’homme que le feu qui donne au fer la forme de métal, et qui change en fer ductile la fonte aigre, en épurant cette fonte, et en l’approchant de plus près les parties métalliques qu’elle contient ; cette fonte de fer, au sortir du fourneau, reste, comme nous l’avons dit, encore mélangée de plus d’un quart de matières étrangères ; elle n’est donc, tout au plus, que d’un quart plus pure que les mines en roche les plus riches, qui par conséquent ont été mêlées, par moitié, de matières vitreuses dans la fusion opérée par le feu primitif.

On pourra insister en retournant l’objection contre ma réponse, et disant qu’on trouve quelquefois de petits morceaux de fer pur ou natif dans certains endroits, à d’assez grandes profondeurs, sous des rochers ou des couches de terre, qui ne paraissent pas avoir été remuées par la main des hommes, et que ces échantillons du travail de la nature, quoique rares, suffisent pour prouver que notre art et le secours du marteau ne sont pas des moyens uniques ni des instruments absolument nécessaires, ni par conséquent les seules causes de la ductilité et de la pureté de ce métal, puisque la nature, dénuée de ces adminicules de notre art, ne laisse pas de produire du fer assez semblable à celui de nos forges.

Pour satisfaire à cette instance, il suffira d’exposer que, par certains procédés, nous pouvons obtenir du régule de fer sans instruments ni marteaux, et par le seul effet d’un feu bien administré et soutenu longtemps au degré nécessaire pour épurer la fonte sans la brûler, en laissant ainsi remuer par le feu, successivement et lentement, les molécules métalliques, qui se réunissent alors par une espèce de départ ou séparation des matières hétérogènes dont elles étaient mélangées. Ainsi, la nature aura pu, dans certaines circonstances, produire le même effet ; mais ces circonstances ne peuvent qu’être extrêmement rares, puisque par nos propres procédés, dirigés à ce but, on ne réussit qu’à force de précautions.

Ce point, également intéressant pour l’histoire de la nature et pour celle de l’art, exige quelques discussions de détail dans lesquelles nous entrerons volontiers par la raison de leur utilité. La mine de fer jetée dans nos fourneaux, élevés de vingt à vingt-cinq pieds et remplis de charbons ardents, ne se liquéfie que quand elle est descendue à plus des trois quarts de cette hauteur ; elle tombe alors sous le vent des soufflets et achève de se fondre au-dessus du creuset qui la reçoit, et dans lequel on la tient pendant quelques heures, tant pour en accumuler la quantité que pour la laisser se purger des matières hétérogènes qui s’écoulent en forme de verre impur qu’on appelle laitier ; cette matière, plus légère que la fonte de fer, en surmonte le bain dans le creuset ; plus on tient la fonte dans cet état, en continuant le feu, plus elle se dépouille de ses impuretés ; mais, comme l’on ne peut la brasser autant qu’il le faudrait, ni même la remuer aisément dans ce creuset, elle reste nécessairement encore mêlée d’une grande quantité de ces matières hétérogènes, en sorte que les meilleures fontes de fer en contiennent plus d’un quart, et les fontes communes près d’un tiers, dont il faut les purger pour les convertir en fer[2]. Ordinairement on fait, au bout de douze heures, ouverture au creuset ; la fonte coule comme un ruisseau de feu dans un long et large sillon, où elle se consolide en un lingot ou gueuse de quinze cents à deux mille livres de poids ; on laisse ce lingot se refroidir au moule, et on l’en tire pour le conduire sur des rouleaux et le faire entrer, par l’une de ses extrémités, dans le foyer de l’affinerie, où cette extrémité, chauffée par un nouveau feu, se ramollit et se sépare du reste du lingot ; l’ouvrier perce et pétrit avec des ringards[3] cette loupe à demi

  1. Tome II, quatrième Mémoire sur la ténacité du fer.
  2. Dans cet épurement même de la fonte, pour la convertir en fer par le travail de raffinerie et par la percussion du marteau, il se perd quelques portions de fer que les matières hétérogènes entraînent avec elles, et on en retrouve une partie dans les scories de l’affinerie.
  3. On appelle ringards des barreaux de fer pointus par l’une de leurs extrémités.