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les systèmes, parce qu’ils sont non seulement incapables d’en faire, mais peut-être même d’entendre la vraie signification de ce mot qui les épouvante ou les humilie ; cependant tout système n’est qu’une combinaison raisonnée, une ordonnance des choses ou des idées qui les représentent, et c’est le génie seul qui peut faire cette ordonnance, c’est-à-dire un système en tout genre, parce que c’est au génie seul qu’il appartient de généraliser les idées particulières, de réunir toutes les vues en un faisceau de lumière, de se faire de nouveaux aperçus, de saisir les rapports fugitifs, de rapprocher ceux qui sont éloignés, d’en former de nouvelles analogies, de s’élever enfin assez haut, et de s’étendre assez loin pour embrasser à la fois tout l’espace qu’il a rempli de sa pensée ; c’est ainsi que le génie seul peut former un ordre systématique des choses et des faits, de leurs combinaisons respectives, de la dépendance des causes et des effets ; de sorte que le tout rassemblé, réuni, puisse présenter à l’esprit un grand tableau de spéculations suivies, ou du moins un vaste spectacle dont toutes les scènes se lient et se tiennent par des idées conséquentes et des faits assortis.

Je crois donc que mes explications sur l’action du feu primitif, sur la sublimation des métaux, sur la formation des matières vitreuses, argileuses et calcaires, sont d’accord avec les procédés de la nature dans ses plus grandes opérations, et nous verrons que l’ensemble de ce système et ses autres rapports seront encore confirmés par tous les faits que nous rapporterons dans la suite, en traitant de chaque métal en particulier.

Mais, pour ne parler ici que du fer, on ne peut guère douter que ce métal n’ait commencé à s’établir le premier sur le globe, et peu de temps après la consolidation du quartz, puisqu’il a coloré les jaspes et les cristaux de feldspath, au lieu que l’or, l’argent, ni les autres métaux ne paraissent pas être entrés comme le fer dans la substance des matières vitreuses produites par le feu primitif ; et ce fait prouve que le fer, plus capable de résister à la violence du feu, s’est en effet établi le premier et dès le temps de la consolidation des verres de nature : car le fer primordial se trouve toujours intimement mêlé avec la matière vitreuse, et il a formé avec elle de très grandes masses et même des montagnes à la surface du globe, tandis que les autres métaux, dont l’établissement a été postérieur, n’ont occupé que les intervalles des fentes perpendiculaires de la roche quartzeuse dans lesquelles ils se trouvent par filons et en petits amas[1].

Aussi n’existe-t-il nulle part de grandes masses de fer pur et pareil à notre fer forgé, ni même semblable à nos fontes de fer, et à peine peut-on citer quelques exemples de petits morceaux de fonte ou régule de fer trouvés dans le sein de la terre, et formés sans doute accidentellement par le feu des volcans, comme l’on trouve aussi et plus fréquemment des morceaux d’or, d’argent et de cuivre, qu’on reconnaît évidemment avoir été fondus par ces feux souterrains[2].

  1. Pline dit, avec raison, que, de toutes les substances métalliques, le fer est celle qui se trouve en plus grandes masses, et qu’on a vu des montagnes qui en étaient entièrement formées : « Metallorum omnium vena ferri largissima est : Cantabriæ maritimâ parte quam Oceanus alluit, mons præruptè altus, incredibile dictu, totus ex eâ materie est. » Lib. xxxiv, cap. xv.
  2. Les mines d’argent de Huantafaya et celles de cuivre mélangées d’or de Coquimbo sont situées dans des contrées où il ne pleut jamais et où il fait chaud, tandis que toutes les autres mines riches du Pérou sont situées dans les Cordillères, du côté où il pleut abondamment, et qui est recouvert de neige, et où il fait un froid excessif dans quelques saisons de l’année ; mais ces mines de Huantafaya et de Coquimbo doivent être regardées comme des mines accidentelles qu’on pourrait appeler mines de fondition, parce que ces métaux ont été mis en fonte par un feu de volcan, et qu’ils ont été déposés en fusion dans les fentes des rochers ou dans le sable. Les monceaux de mine de Huantafaya que j’ai acquis, monsieur, pour le Cabinet, et que je vous remettrai, laissent apercevoir les mêmes accidents