Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ainsi, quoique le sel sédatif paraisse simple et qu’il le soit en effet plus que le borax, il est néanmoins composé de quelques substances salines et métalliques, si intimement unies que notre art ne peut les séparer, et je présume que ces substances peuvent être de l’arsenic et du cuivre, auquel on sait que l’arsenic adhère si fortement qu’on a grande peine à l’en séparer : ceci n’est qu’une conjecture, un soupçon ; mais, comme d’une part le borax ne se trouve que dans des terres ou des eaux chargées de parties métalliques, et particulièrement dans le voisinage des mines de cuivre en Perse ; et que d’autre part le sel sédatif n’est ni acide ni alcali, et qu’il a plusieurs propriétés semblables à celles de l’arsenic, et qu’enfin il n’y a de sels simples dans la nature que l’acide, l’alcali et l’arsenic, j’ai cru que ma conjecture était assez fondée pour la laisser paraître, en la soumettant néanmoins à toute critique, et particulièrement à l’arrêt irrévocable de l’expérience, qui la détruira ou la confirmera : je puis, en attendant, citer un fait qui paraît bien constaté : M. Cadet, l’un de nos savants chimistes, de l’Académie des sciences, a tiré du borax un culot de cuivre par des dissolutions et des filtrations réitérées, et ce seul fait suffit pour démontrer que le cuivre est une des substances dont le borax est composé ; mais il sera peut-être plus difficile d’y reconnaître l’arsenic.

Le sel sédatif est encore plus fusible, plus vitrifiable et plus vitrifiant que le borax, et cependant il est privé de son alcali, qui, comme l’on sait, est le sel le plus fondant et le plus nécessaire à la vitrification ; dès lors, ce sel sédatif contient donc une matière qui, sans être alcaline, a néanmoins la même propriété vitrifiante : or, je demande quelle peut être cette matière, si ce n’est de l’arsenic, qui seul a ces propriétés, et qui même peut fondre et vitrifier plusieurs substances que les alcalis ne peuvent vitrifier ?

Ce sel se dissout dans l’esprit-de-vin ; il donne à sa flamme une belle couleur verte, ce qui semble prouver encore qu’il est imprégné de quelques éléments métalliques, et particulièrement de ceux du cuivre ; il est vrai qu’en supposant ce sel composé d’arsenic et de cuivre, il faut encore admettre dans sa composition une terre vitrescible capable de saturer l’arsenic et d’envelopper le cuivre, car ce sel sédatif a très peu de saveur, et ses effets, au lieu d’être funestes comme ceux de l’arsenic et du cuivre, ne sont que doux et même salutaires ; mais ne trouve-t-on pas la même différence d’effets entre le sublimé corrosif et le mercure doux ? Un autre fait qui va encore à l’appui de ma conjecture, c’est que le borax fait pâlir la couleur de l’or, et l’on sait que l’arsenic le pâlit ou blanchit de même, mais on ne sait pas, et il faudrait l’essayer, si en jetant à plusieurs reprises une grande quantité de borax sur l’or en fusion il ne le rendrait pas cassant comme fait l’arsenic ; s’il produisait cet effet, on ne pourrait guère douter que le borax et le sel sédatif ne continssent de l’arsenic. Au reste, il faudrait faire de préférence cet essai sur le sel sédatif qui est débarrassé d’alcali, et qui a, comme le borax, la propriété de blanchir l’or. Enfin on peut comparer au borax le nitre fixé par l’arsenic, qui devient par ce mélange un très puissant fondant, et qu’on peut employer au lieu de borax pour opérer la vitrification ; tous ces rapports me semblent indiquer que l’arsenic fait partie du borax, mais qu’il adhère si fortement à la base métallique de ce sel qu’on ne peut l’en séparer.

Au reste, il n’est pas certain qu’on ne puisse tirer le sel sédatif que du seul borax, puisque M. Hoëffer assure que les eaux du lac Cherchiago, dans le territoire de Sienne, en Italie, en fournissent une quantité assez considérable, et cependant il ne dit pas que ces mêmes eaux fournissent du borax[1].

On apporte de Turquie, de Perse, du continent des Indes et même de l’île de Ceylan, du tinkal ou borax brut de deux sortes : l’un est mou et rougeâtre, et l’autre est ferme et gris ou verdâtre ; on leur enlève ces couleurs et l’onctuosité dont ils sont encore imprégnés

  1. Voyez le Mémoire de M. Hoëffer, directeur de pharmacie du grand-duc de Toscane, imprimé à Florence en 1778.