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On trouve du sel ammoniac tout formé et sublimé au-dessus des solfatares et des volcans ; et ce fait nous fournit une nouvelle preuve de ce que j’ai dit au sujet des matières qui servent d’aliment à leurs feux : ce sont les pyrites, les terres limoneuses et végétales, les terreaux, le charbon de terre, les bitumes et toutes les substances, en un mot, qui sont composées des détriments des végétaux et des animaux, et c’est par le choc de l’eau de la mer contre le feu que se font les explosions des volcans ; l’incendie de ces matières animales et végétales humectées d’eau marine doit donc former du sel ammoniac, qui se sublime par la violence du feu, et qui se cristallise par le refroidissement contre les parois des solfatares et des volcans. Le savant minéralogiste Cronstedt dit : « Qu’il serait aisé d’assigner l’origine du sel ammoniac, s’il était prouvé que les volcans sont produits par des ardoises formées de végétaux décomposés et d’animaux putréfiés avec l’humus, car on sait, ajoute-t-il, que les pétrifications ont des principes qui donnent un sel urineux. » Mais les ardoises ne sont pas, comme le dit Cronstedt, de l’humus ou terre végétale ; elles ne sont pas formées de cette terre et de végétaux décomposés ou d’animaux putréfiés, et les volcans ne sont pas produits par les ardoises, car c’est cette même terre humus, ce sont les détriments des végétaux et des animaux dont elle est composée, qui sont les véritables aliments des feux souterrains ; ce sont de même les charbons de terre, les bitumes, les pyrites et toutes les matières composées ou chargées de ces détriments des corps organisés qui causent leur incendie et entretiennent leur feu, et ce sont ces mêmes matières qui contiennent des sels urineux en bien plus grande quantité que les pétrifications ; enfin, c’est là la véritable origine du sel ammoniac dans les volcans : il se forme par l’union de l’acide de l’eau marine à l’alcali volatil des matières animales et végétales, et se sublime ensuite par l’action du feu.

Le sel ammoniac et le phosphore sont formés par ces deux mêmes principes salins ; l’acide marin, qui seul ne s’unit pas avec la matière du feu, la saisit dès qu’il est joint à l’alcali volatil et forme le sel ammoniac ou le phosphore, suivant les circonstances de sa combinaison ; et même, lorsque l’acide marin ou l’acide nitreux sont combinés avec l’alcali fixe minéral, ils produisent encore le phosphore, car le sel marin calcaire et le nitre calcaire répandent et conservent de la lumière assez longtemps après leur calcination, ce qui semble prouver que la base de tout phosphore est l’alcali, et que l’acide n’en est que l’accessoire. C’est donc aussi l’alcali volatil plutôt que l’acide marin qui fait l’essence de tous les sels ammoniacaux, puisqu’ils ne diffèrent entre eux que par leurs acides, et que tous sont également formés par l’union de ce seul alcali ; enfin c’est par cette raison que tous les sels ammoniacaux sont à demi volatils.

Le sel ammoniac, formé par la combinaison de l’alcali volatil avec l’acide marin, se cristallise lorsqu’il est pur, soit par la sublimation, soit par la simple évaporation, toutes deux néanmoins suivies du refroidissement : comme ses cristaux conservent une partie de la volatilité de leur alcali, la chaleur du soleil suffit pour les dissiper en les volatilisant. Au reste, ce sel est blanc, presque transparent, et, lorsqu’il est sublimé dans des vaisseaux clos, il forme une masse assez compacte, dans laquelle on remarque des filets appliqués dans leur longueur parallèlement les uns aux autres[1] ; il attire un peu l’humidité de l’air et devient déliquescent avec le temps ; l’eau le dissout facilement, et l’on a observé qu’il produit un froid plus que glacial dans sa dissolution ; ce grand refroidissement est d’autant plus marqué que la chaleur de l’air est plus grande et qu’on le dissout dans une eau plus chaude ; et la dissolution se fait bien plus promptement dans l’eau bouillante que dans l’eau froide.

L’action du feu ne suffit pas seule pour décomposer le sel ammoniac : il se volatilise à l’air libre ou se sublime comme le soufre en vaisseaux clos, sans perdre sa forme et

  1. Dictionnaire de Chimie, par M. Macquer, article Sel ammoniac.