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est un mélange de plusieurs sels, et particulièrement de sel marin combiné avec différentes bases ; mais, comme ce sel se précipite et se cristallise le premier, on l’enlève aisément, et on laisse le nitre qui est encore en dissolution se cristalliser lentement ; il prend alors une forme concrète, et on le sépare du reste de la liqueur ; mais comme, après cette première cristallisation, elle contient encore du nitre, on la fait évaporer et refroidir une seconde fois pour obtenir le surplus de ce sel, qui se manifeste de même en cristaux, après quoi il ne reste que l’eau mère, dont les sels ne peuvent plus se cristalliser[1] ; mais ce nitre n’est pas encore assez pur pour en faire de la poudre à canon, il faut le dissoudre et le faire cristalliser une seconde et même une troisième fois pour lui donner toute la pureté et la blancheur qu’il doit avoir avant d’être employé à cet usage.

Le nitre s’enflamme sur les charbons ardents avec un bruit de sifflement, et lorsqu’on le fait fondre dans un creuset il fait explosion et détone dès qu’on lui offre quelque matière inflammable, et particulièrement du charbon réduit en poudre. Ce sel purifié est transparent ; il n’attire que faiblement l’humidité de l’air ; il n’a que peu ou point d’odeur ; sa saveur est désagréable ; néanmoins on l’emploie dans les salaisons pour donner aux viandes une couleur rouge. La forme de ses cristaux varie beaucoup ; ils se présentent tantôt en prismes rayés dans leur longueur, tantôt en rhombes, tantôt en parallélipipèdes rectangles ou obliques. M. le docteur Demeste a scrupuleusement examiné toutes ces variétés de figure[2], et il pense qu’on pourrait les réduire au parallélipipède, qui est, dit-il, la forme primitive de ce sel.

La plupart des sels peuvent perdre leur forme cristallisée et être privés de leur eau de cristallisation sans être décomposés et sans que leur essence saline en soit altérée ; le nitre seul se décompose par le concours de l’air lorsqu’il est en fusion ; son eau de cristallisation se réduit en vapeurs et enlève avec elle l’acide, en sorte qu’il ne reste au fond du creuset que de l’alcali fixe, preuve évidente que l’acide du nitre est le même que l’acide aérien : au reste, comme le nitre se dissout bien plus parfaitement et en plus grande quantité dans l’eau bouillante que dans l’eau froide, il se cristallise plus par le refroidissement que par l’évaporation, et les cristaux seront d’autant plus gros que le refroidissement aura été plus lent.

La saveur du nitre n’est pas agréable comme celle du sel marin ; elle est cependant plus fraîche, mais elle laisse ensuite une impression répugnante au goût. Ce sel se conserve à l’air : comme il est chargé d’acide aérien, il n’attire pas celui de l’atmosphère, il ne perd pas même sa transparence dans un air sec, et ne devient déliquescent que par une surcharge d’humidité ; il se liquéfie très aisément au feu, et à un degré de chaleur bien inférieur à celui qui est nécessaire pour le faire rougir ; ils se fond sans grand mouvement intérieur et sans boursouflement à l’extérieur, lors même qu’on pousse la fonte jusqu’au rouge. En laissant refroidir ce nitre fondu, il forme une masse solide et demi-transparente, à laquelle on a donné le nom impropre de cristal minéral, car ce n’est que du nitre qui n’est plus cristallisé et qui, du reste, a conservé toutes ses propriétés.

L’acide vitriolique et l’arsenic, qui ont encore plus d’affinité que l’acide nitreux avec l’alcali, décomposent le nitre en lui enlevant l’alcali sans toucher à son acide, ce qui fournit le moyen de retirer cet acide du nitre par la distillation. L’acide qui reste retient une certaine quantité d’arsenic, et c’est ce qu’on appelle nitre fixé par l’arsenic ; c’est un très bon fondant, et duquel on peut se servir avantageusement pour la vitrification : nous ne parlerons pas des autres combinaisons de l’acide nitreux, et nous nous réservons de les indiquer dans les articles où nous traiterons de la dissolution des métaux.


  1. Éléments de Chimie par M. de Morveau, t. II, p. 132 et suiv.
  2. Lettres de M. Demeste à M. le docteur Bernard, t. Ier, p. 225 et suiv.