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mené à l’acide aérien ; car l’alcali végétal, qui sert de base au nitre, est tout aussi évidemment produit par la décomposition putride des végétaux, et c’est par cette raison qu’on trouve du nitre tout formé dans la terre végétale et sur la surface spongieuse de la craie, des tufs et des autres substances calcaires[1] ; mais, en général, le salpêtre naturel n’est nulle part assez abondant pour qu’on puisse en ramasser une grande quantité, et pour y suppléer on est obligé d’avoir recours à l’art : une simple lessive suffit pour le tirer de ces terres où il se forme naturellement ; les matières qui en contiennent le plus sont les terres crétacées et surtout les débris des mortiers et des plâtres qui ont été employés dans les bâtiments, et cependant on n’en extrait guère qu’une livre par quintal ; et, comme il s’en fait une prodigieuse consommation, on a cherché à combiner les matières et les circonstances nécessaires pour augmenter et accélérer la formation de ce sel.

En Prusse et en Suède, on fait du salpêtre en amoncelant par couches alternatives du gazon, des cendres, de la chaux et du chaume[2] ; on délaie ces trois premières matières avec de l’urine et de l’eau mère de salpêtre ; on arrose de temps en temps d’urine les couches qui forment ce monceau qu’on établit sous un hangar à l’abri de la pluie ; le salpêtre se forme et se cristallise à la surface du tas en moins d’un an, et on assure qu’il s’en produit ordinairement pendant dix ans. Nous avons suivi cette méthode en France, et on pourra peut-être la perfectionner[3] ; mais jusqu’à ce jour on a cherché le salpêtre dans toutes les habitations des hommes et des animaux, dans les caves, les écuries, les étables et dans les autres lieux humides et couverts ; c’est une grande incommodité pour les habitants de la campagne et même pour ceux des villes, et il est fort à désirer que les nitrières artificielles puissent suppléer à cette recherche, plus vexatoire qu’un impôt.

Après avoir recueilli les débris et les terres où le salpêtre se manifeste, on mêle ces matières avec des cendres, et on lessive le mélange par une grande quantité d’eau ; on fait passer cette eau, déjà chargée de sel, sur de nouvelles terres toujours mêlées de cendres, jusqu’à ce qu’elle contienne douze livres de matière saline sur cent livres d’eau ; ensuite on fait bouillir ces eaux pour les réduire par l’évaporation, et on obtient le nitre qui se cristallise par le refroidissement. Au lieu de cendres on pourrait mêler de la potasse avec les terres nitreuses, car la cendre des végétaux n’agit ainsi que par son sel, et la potasse n’est que le sel de cette cendre.

Au reste, la première saline dont les eaux sont chargées jusqu’à douze pour cent[4]

  1. En Normandie, du côté d’Évreux, près du château de M. le duc de Bouillon, il y a une fabrique de salpêtre entretenue par la lixiviation des raclures de la craie des rochers, que l’on ratisse sept à huit fois par an.
  2. Sur quoi un physicien (M. Tronson du Coudray, Journal de Physique, mai 1772) a remarqué que l’addition de la chaux produisait un mauvais effet dans cette extraction du salpêtre, des particules calcaires se mêlant dans sa cristallisation, et le rendant moins pur et plus déliquescent ; mais nous ne serons pas également du même avis que ce physicien sur l’inutilité prétendue des cendres dans la lessive des plâtras, puisqu’il déclare lui-même que la quantité de sels obtenue de plus, en soustrayant les cendres, n’était que des sels déliquescents. Voyez le Journal de Physigue cité.
  3. Il y a quatorze ou quinze nitrières artificielles nouvellement établies en Franche-Comté, plusieurs en Bourgogne, et quelques-unes dans d’autres provinces.
  4. La quantité de salpêtre tenue en dissolution est absolument relative au degré de température de l’eau, et même avec des différences très considérables. Il résulte des expériences de M. Tronson du Coudray qu’il faut huit livres d’eau pour dissoudre à froid une livre de salpêtre à la température de trois degrés au-dessus de la glace, mais que trois livres d’eau suffisent pour dissoudre ce même poids dans un air tempéré : par les grandes chaleurs de l’été, deux livres d’eau peuvent tenir dix livres de salpêtre en dissolution… Une eau déjà saturée de sel marin dissout néanmoins encore, dans un air tempéré, les deux tiers de salpêtre que dissoudrait un pareil poids d’eau pure, etc. Journal de Physique, mai 1772, p. 233 et 234.