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vaient pas à mesure qu’il se produit : aussi l’on ne trouve du nitre en nature et en quantité sensible que dans quelques endroits des climats secs et chauds, comme en Espagne et en Orient[1], et dans le nouveau continent au Pérou[2], sur des terrains de tout temps incultes où la putréfaction des corps organisés s’est opérée sans trouble, et a été aidée de la chaleur et maintenue par la sécheresse. Ces terres sont quelquefois couvertes d’une couche de salpêtre de deux ou trois lignes d’épaisseur ; il est semblable à celui que l’on recueille sur les parois des vieux murs en les balayant légèrement avec un houssoir, d’où lui vient le nom de salpêtre de houssage ; c’est par la même raison que l’on trouve des couches de salpêtre naturel sur la craie et sur le tuf calcaire dans les endroits caverneux, où ces terres sont à l’abri des pluies, et j’en ai moi-même recueilli sous des voûtes et dans les cavités des carrières de pierre calcaire où l’eau avait pénétré et entraîné ce sel qui s’était formé à la surface du terrain. Mais rien ne prouve mieux la nécessité du concours de l’acide aérien pour la formation du nitre que les observations de M. le duc de La Rochefoucauld, l’un de nos plus illustres et plus savants académiciens ; il les a faites sur le terrain de la montagne de la Roche-Guyon, située entre Mantes et Vernon ; cette montagne n’est qu’une masse de craie, dans laquelle on a pratiqué quelques habitations où l’on a trouvé et recueilli du nitre en efflorescence et quelquefois cristallisé : cela n’a rien d’extraordinaire, puisque ces lieux étaient habités par les hommes et les animaux ; aussi M. le duc de La Rochefoucauld s’est-il attaché à reconnaître si la craie de l’intérieur de la montagne contenait du nitre comme en contiennent ses cavités et sa surface, et il s’est convaincu, par des observations exactes et appuyées d’expériences décisives, que ni le nitre ni l’acide nitreux n’existent dans la craie qui n’a pas été exposée aux impressions de l’air, et il prouve par d’autres expériences que cette seule impression de l’air suffit pour produire l’acide nitreux dans la craie. Voilà donc évidemment l’acide nitreux ra-

  1. En revenant du mont Sinaï à Suez, nous fûmes coucher dans un vallon dont toute la terre était si couverte de nitre qu’il semblait qu’il eût neigé : au milieu passait un ruisseau dont les eaux en avaient le goût. Voyages de Monconys ; Lyon, 1645, p. 248. — La plupart du salpêtre qui se vend à Guzarate vient d’un endroit à soixante lieues d’Agra, et on le tire des terres qui ont été longtemps en friche. La terre noire et grasse est celle qui en rend le plus, quoique l’on en tire aussi d’autres terres, et on le fait en la manière suivante : ils font des fosses qu’ils remplissent de terre salpêtreuse, et y font couler par une rigole autant d’eau qu’il faut pour la détremper, à quoi ils emploient les pieds, en la démêlant jusqu’à ce qu’elle devienne comme de la bouillie ; quand ils croient que l’eau a attiré à elle tout le salpêtre qui était dans la terre, ils en prennent la partie la plus claire et la mettent dans une autre fosse, où elle s’épaissit, et alors ils le font cuire dans des poêles, comme le sel, en l’écumant incessamment ; et après cela ils le mettent dans des pots de terre, où le reste de la lie va au fond : et quand l’eau commence à se geler, ils la tirent de ces pots pour la faire sécher au soleil, où il achève de se durcir et de prendre la forme en laquelle on l’apporte en Europe. Voyages de Mandeslo, suite d’Oléarius, t. II, p. 230. — Le salpêtre vient en quantité d’Agra et de Patna, ville de Bengala, et le raffiné coûte trois fois plus que celui qui ne l’est pas. Les Hollandais ont établi un magasin à Choupar, à quatorze lieues au-dessus de Patna, et leurs salpêtres y étant raffinés, ils les font transporter par la rivière jusqu’à Ongueli. Ils avaient fait venir des chaudières de Hollande, et pris des raffineurs pour raffiner eux-mêmes leurs salpêtres ; mais cela ne leur a pas réussi, parce que les gens du pays, voyant que les Hollandais leur voulaient ôter le gain du raffinement, ne leur fournirent plus de petit-lait, sans quoi le salpêtre ne se peut blanchir, car il n’est point du tout estimé s’il n’est fort blanc et transparent. Voyages de Tavernier, t. II, p. 366.
  2. Sur les côtes de la mer Pacifique, près de Lima, on rencontre une grande quantité de salpêtre que l’on pourrait ramasser avec la pelle, et dont on ne fait aucun usage : c’est principalement sur les terres qui servent de pâturage, et qui ne produisent que des graminées, que l’on trouve le plus abondamment ce sel. M. Dombay, Journal de Physique, mars 1780, p. 212.