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ment pour s’y réunir en rompant ses liens avec une force et une violence à laquelle rien ne peut résister. L’inflammation de la première particule communiquant son feu à celles qui l’avoisinent, et ainsi de proche en proche dans toute la masse, avec une inconcevable rapidité, et dans un instant pour ainsi dire indivisible, la somme de toutes ces explosions simultanées forme la détonation totale, d’autant plus redoutable qu’elle est plus renfermée, et que les résistances qu’on lui oppose sont plus grandes ; car c’est encore une des propriétés particulières du nitre, et qui décèle de plus en plus sa nature ignée et aérienne, que de brûler et détoner en vaisseaux clos, et sans avoir besoin, comme toute autre matière combustible, du contact et du ressort de l’air libre.

La plus grande force de la poudre à canon tient donc à ce que tout son nitre s’enflamme, et s’enflamme à la fois, ou dans le plus petit temps possible : or, cet effet dépend d’abord de la pureté du nitre, et ensuite de la proportion et de l’intimité de son mélange avec le soufre et le charbon, destinés à porter l’inflammation sur toutes les parties du nitre. L’expérience a fait connaître que la meilleure proportion de ce mélange pour faire la poudre à canon est de soixante-quinze parties de nitre, sur quinze parties et demie de soufre et neuf parties et demie de charbon ; néanmoins, le charbon et le soufre ne contribuent pas par eux-mêmes à l’explosion du nitre ; ils ne servent dans la composition de la poudre qu’à porter et communiquer subitement le feu à toutes les parties de sa masse ; et même l’on pourrait dans le mélange supprimer le charbon et ne se servir que du soufre pour porter la flamme sur le nitre ; car M. Baumé dit avoir fait de très bonne poudre à canon par cette seule mixtion du soufre et du nitre.

Comme cet usage du nitre ou salpêtre n’est malheureusement que trop universel, et que la nature semble s’être refusée à nous offrir ce sel en grande quantité, on a cherché des moyens de s’en procurer par l’art, et ce n’est que de nos jours qu’on a tâché de perfectionner la pratique de ces procédés : c’est l’objet du prix annoncé pour l’année prochaine[1] par l’Académie des sciences sur les nitrières artificielles. Ces recherches auront sans doute pour point de vue d’exposer au libre contact de l’air, sous le plus de surface possible et dans un degré de température et d’humidité convenables à la fermentation, un mélange proportionné de matières végétales et animales en putréfaction. Les substances animales produisent à la vérité du nitre en plus grande abondance que les matières végétales ; mais ce nitre formé par la putréfaction des animaux est à base terreuse et sans alcali fixe, et les végétaux putréfiés, ou les résidus de leur combustion, peuvent seuls fournir au nitre cette base d’alcali fixe.

On obtiendra donc du bon nitre toutes les fois qu’on exposera au contact et à l’impression de l’air des matières végétales et animales en putréfaction, soit en les mêlant avec des terres et pierres poreuses, suivant le procédé que nous indique la nature, en nous offrant le nitre produit dans les plâtras et les craies, soit en projetant ces matières sur des fagots ou fascines, ainsi que le propose M. Macquer, supposé néanmoins que ce mélange soit entretenu dans le degré de température et d’humidité nécessaires pour soutenir la fermentation putride ; car cette dernière circonstance n’est pas moins essentielle que le concours de l’air pour la production du nitre, même de celui qui se forme naturellement.

La nature n’a point produit de nitre en masse ; il semble qu’elle ait, comme nous, besoin de tout son art pour former ce sel ; c’est par la végétation qu’elle le travaille et le développe dans quelques plantes, telles que les boraginées, les soleils, etc., et il est à présumer que ces plantes dans lesquelles le nitre est tout formé le tirent de la terre et de l’air avec la sève ; car l’acide aérien réside dans l’atmosphère et s’étend à la surface de la terre ; il devient acide nitreux en s’unissant aux éléments des matières animales et végétales putréfiées, et il se formerait du nitre presque partout, si les pluies ne le dissol-

  1. Ceci a été écrit dans l’année 1781.