Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liquide et s’exhale continuellement en vapeurs ; il attire l’humidité de l’air, mais moins fortement que l’acide vitriolique : il en est de même de l’effet que ces deux acides produisent en les mêlant avec l’eau ; la chaleur est plus forte et le bouillonnement plus grand par le vitriolique que par le nitreux ; celui-ci est néanmoins très corrosif, et ce qu’on appelle eau forte[NdÉ 1] n’est que ce même acide nitreux, affaibli par une certaine quantité d’eau.

Cet acide, ainsi que tous les autres, provient originairement de l’acide aérien, et il semble en être plus voisin que les deux autres acides minéraux ; car il est évidemment uni à une grande quantité d’air et de feu : la preuve en est que l’acide nitreux ne se trouve que dans les matières imprégnées des déjections ou des débris putréfiés des végétaux et des animaux, qui contiennent certainement plus d’air et de feu qu’aucun des minéraux ; ce n’est qu’en unissant ces acides minéraux avec l’acide aérien ou avec les substances qui en contiennent, qu’on peut les amener à la forme d’acide nitreux ; par exemple, on peut faire du nitre avec de l’acide vitriolique, et de l’urine[1] ; et de même l’acide sulfureux volatil, qui n’est que l’acide vitriolique uni avec l’air et le feu, approche autant de la nature de l’acide nitreux qu’il s’éloigne de celle de l’acide vitriolique, duquel néanmoins il ne diffère que par ce mélange qui le rend volatil, et lui donne l’odeur du soufre qui brûle. De plus, l’acide nitreux et l’acide sulfureux se ressemblent encore, et diffèrent de l’acide vitriolique en ce qu’ils altèrent beaucoup plus les couleurs des végétaux que l’acide vitriolique, et que les cristallisations des sels qu’ils forment avec l’alcali se ressemblent entre elles autant qu’elles diffèrent de celle du tartre vitriolé[2].

Tout nous porte donc à croire que l’acide nitreux est moins simple et plus surchargé d’air et de feu que tous les autres acides ; que même, comme nous l’avons dit, ce sel est un surcomposé de feu et d’air accumulés et concentrés avec une petite portion d’eau et de terre, par le travail profond et la chaleur intime de l’organisation animale et végétale : qu’enfin ces mêmes éléments y sont exaltés et développés par la fermentation putride.

De tous les sels le nitre est celui qui se dissout, se détruit et s’évanouit le plus complètement et le plus rapidement, et toujours avec une explosion qui démontre le combat intestin et la puissante expansion des fluides élémentaires, qui s’écartent et se fuient à l’instant que leurs liens sont rompus.

En présentant le phlogistique, c’est-à-dire le feu animé par l’air, à l’acide vitriolique, le feu, comme nous l’avons dit, se fixe par cet acide, et il en résulte une nouvelle substance qui est le soufre. En présentant de même le phlogistique à l’acide du nitre, il devrait, suivant l’ingénieuse idée de Stahl, se former un soufre nitreux ; mais tel est l’excès du feu renfermé dans cet acide, que le soufre s’y détruit à l’instant même qu’il se forme, la moindre accession d’un nouveau feu suffisant pour le dégager de ses liens et le mettre en explosion.

Cette détonation du nitre est le plus terrible phénomène que la nature, sollicitée par notre art, ait jusqu’ici manifesté. Si le feu de Prométhée fut dérobé aux cieux, celui-ci semble pris au Tartare, portant partout la ruine et la mort : combiné par un génie funeste, ou plutôt soufflé par le démon de la guerre, il est devenu le grand instrument de la destruction des hommes et de la dévastation de la terre.

Ce redoutable effet du nitre enflammé est causé par la propriété qu’il a de s’allumer en un instant dans toutes les parties de sa masse, dès qu’elles peuvent être atteintes par la flamme. La surabondance de son propre feu n’attend que le plus léger contact de cet élé-

  1. Acide azotique [Note de Wikisource : plus couramment appelé acide nitrique, aujourd’hui].
  1. M. Pietch, dans une dissertation couronnée par l’Académie de Berlin en 1749, assure qu’ayant imbibé d’urine et d’acide vitriolique une pierre calcaire, et l’ayant laissée exposée quelque temps à l’air, il l’a trouvée après cela toute remplie de nitre. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 126.
  2. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, t. Ier, article Acide nitreux.