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NITRE

L’acide nitreux est moins fixe que l’acide vitriolique, et moins volatil que l’acide marin ; tous trois sont toujours fluides, et on ne les trouve nulle part dans un état concret, quoiqu’on puisse amener à cet état l’acide vitriolique, en le concentrant par une chaleur violente, mais il se résout bientôt en liqueur dès qu’il est refroidi. Cet acide ne prend point de couleur au feu, et il y reste blanc ; l’acide marin y devient jaune, et l’acide nitreux paraît d’abord vert, mais sa vapeur en se mêlant avec l’air devient rouge, et il prend lui-même cette couleur rouge par une forte concentration : cette vapeur que l’acide nitreux exhale a de l’odeur et colore la partie vide des vaisseaux de verre dans lesquels on le tient renfermé ; comme plus volatil, il est aussi moins pesant que l’acide vitriolique, qui pèse plus du double de l’eau, tandis que la pesanteur spécifique de l’acide nitreux n’est que de moitié plus grande que celle de l’eau pure.

Quoique plus faible à certains égards que l’acide vitriolique, l’acide nitreux ne laisse pas que de le vaincre à la distillation, en le séparant de l’alcali. Or l’acide vitriolique ayant plus d’affinité que l’acide nitreux avec l’alcali, comment se peut-il que cet alcali lui soit enlevé par ce second acide ? Cela ne prouve-t-il pas que l’acide aérien réside en grande quantité dans l’acide nitreux, et qu’il est la cause médiate de cette décomposition opposée à la loi commune des affinités ?

On peut enlever à tous les sels l’eau qui est entrée dans leur cristallisation, et sans laquelle leurs cristaux ne se seraient pas formés ; cette eau, ni la forme en cristaux, ne sont donc point essentielles aux sels, puisque après en avoir été dépouillés, ils ne sont point décomposés, et qu’ils conservent toutes leurs propriétés salines. Le nitre seul se décompose lorsqu’on le prive de cette eau de cristallisation, et cela démontre que l’eau, ainsi que l’acide aérien, entrent dans la composition de ce sel, non seulement comme parties intégrantes de sa masse, mais même comme parties constituantes de sa substance et comme éléments nécessaires à sa formation.

Le nitre[NdÉ 1] est donc de tous les sels le moins simple, et quoique les chimistes aient abrégé sa définition en disant que c’est un sel composé d’acide nitreux et d’alcali fixe végétal, il me paraît que c’est non seulement un composé, mais même un surcomposé de l’acide aérien par l’eau, la terre et le feu fixe des substances animales et végétales exaltées par la fermentation putride ; il réunit les propriétés des acides minéraux, végétaux et animaux : quoique moins fort que l’acide vitriolique par sa qualité dissolvante, il produit d’autres plus grands effets ; il semble même augmenter la force du plus puissant des éléments, en donnant au feu plus de violence et d’activité.

L’acide nitreux attaque presque toutes les matières métalliques ; il dissout avec autant de promptitude que d’énergie toutes les substances calcaires et toutes les terres mêlées des détriments de végétaux et des animaux ; il forme avec presque toutes des sels déliquescents. Il agit aussi très fortement sur les huiles, et même il les enflamme lorsqu’il est bien concentré ; mais en l’affaiblissant avec de l’eau et l’unissant à l’huile, il forme des sels savonneux ; et en le mêlant dans cet état aqueux avec l’esprit-de-vin, il s’adoucit au point de perdre presque toute son acidité, et l’on peut en faire une liqueur éthérée, semblable à l’éther qui se fait avec l’esprit-de-vin et l’acide vitriolique. Ce dernier acide peut prendre une forme concrète à force de concentration ; l’acide nitreux, plus volatil, reste toujours

  1. Azotate de potasse [Note de Wikisource : appelé aujourd’hui nitrate de potassium ; c’est ce qu’on appelle plus couramment le salpêtre]. Encore un chapitre qui n’a d’intérêt qu’au point de vue historique, dans toute sa partie chimique.