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suffi pour le tarir : ce lac ne reçoit point de rivière, il faut donc nécessairement qu’il sorte de son fond des sources d’eau salée pour l’entretenir[1]. »

En d’autres pays, où la nature, moins libérale que chez nous, est en même temps moins insultée, et où on laisse aux habitants la liberté de recueillir et de solliciter ses bienfaits, on a su se procurer, et pour ainsi dire créer des sources salées, là où il n’en existait pas, en conduisant, par de grands et ingénieux travaux, des cours d’eau à travers des couches de terres ou de pierres imbues ou imprégnées de sel, que ces eaux dissolvent et dont elles sont chargées. C’est à M. Jars que nous devons la connaissance et la description de cette singulière exploitation qui se fait dans le voisinage de la ville de Hall en Tyrol. « Le sel, dit-il, est mélangé dans cette mine avec un rocher de la nature de l’ardoise, qui en contient dans tous ses lits ou divisions… Pour extraire le sel de cette masse, on commence par ouvrir une galerie, en partant d’un endroit où le rocher est ferme, et on l’avance d’une vingtaine de toises ; ensuite on en fait une seconde de chaque côté d’environ dix toises, et d’autres encore qui leur sont parallèles ; de sorte qu’il ne reste dans cet espace que des piliers distants les uns des autres de cinq pieds, et qui ont à peu près les mêmes dimensions en carré, sur six pieds de hauteur, qui est celle des galeries : pendant qu’on travaille à ces excavations, d’autres ouvriers sont occupés à faire des mortaises ou entailles de chaque côté de la galerie principale, qui a été commencée dans le rocher ferme, pour y placer des pièces de bois, et y former une digue qui serve à retenir l’eau ; et dans la partie inférieure de cette digue on laisse une ouverture pour y mettre une bonde ou un robinet. Lorsque le tout est exactement bouché, on y fait arriver de l’eau douce par des tuyaux qui partent du sommet de la montagne ; peu à peu le sel se dissout à mesure que l’eau monte dans la galerie… Dans quelques-unes des excavations de cette mine, l’eau séjourne cinq, six et même douze mois avant que d’être saturée, ce qui dépend de la richesse de la veine de sel et de l’étendue de l’excavation… Ce n’est que quand l’eau est entièrement saturée, que l’on ouvre les robinets des digues, pour la faire couler et la conduire par des tuyaux de bois jusqu’à Hall, où sont les chaudières d’évaporation[2]. »

Dans les contrées du Nord où l’eau de la mer se glace, on pourrait tirer le sel de cette eau, en la recevant dans des bassins peu profonds, et la laissant exposée à la gelée : le sel abandonne la partie qui se glace et se concentre dans la portion inférieure de l’eau, qui, par ce moyen assez simple, se trouve beaucoup plus salée qu’elle ne l’était auparavant.

Il semble que la nature ait pris elle-même le soin de combiner l’acide et l’alcali pour former ce sel qui nous est le plus utile, le plus nécessaire de tous, et qu’elle l’ait en même temps accumulé, répandu en immense quantité sur la terre et dans toutes les mers ; l’air même est imprégné de ce sel ; il entre dans la composition de tous les êtres organisés ; il plaît au goût de l’homme et de tous les animaux : il est aussi reconnaissable par sa figure que recommandable par sa qualité ; il se cristallise plus facilement qu’aucun autre sel ; et ses cristaux sont des cubes presque parfaits[3] ; il est moins soluble que plusieurs autres sels, et la chaleur de l’eau, même bouillante, n’augmente que très peu sa solubilité ; néanmoins il attire si puissamment l’humidité de l’air, qu’il se réduit en liqueur si on le retient dans des lieux très humides ; il décrépite sur le feu par l’effort de l’air qui se dégage alors de ses cristaux, dont l’eau s’évapore en même temps ; et cette eau de cristallisation qui dans certains sels, comme l’alun, paraît faire plus de la moitié de la masse saline, n’est dans le sel marin qu’en petite quantité, car en le faisant calciner et même fondre à un feu

  1. Mémoires sur la minéralogie du Dauphiné, t. Ier, p. 180 et suiv.
  2. Voyages métallurgiques, t. III, p. 328 et 329.
  3. Les grains figurés en trémies sont de petits cubes groupés les uns contre les autres.