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seuls marais salants de Pécais, dit M. Montel, rapportent à la ferme générale sept ou huit millions par an : pour que la récolte du sel soit regardée comme bonne, il faut que la couche de sel, produite par l’évaporation successive pendant quatre ou cinq mois, soit épaisse de deux pouces et demi ou trois pouces. Il est dit, dans la Gazette d’agriculture, « qu’en 1775, il y avait plus de quinze cents hommes employés à recueillir et entasser le sel dans les marais de Pécais : indépendamment de ces salines et de celles de Saint-Jean et de Roquemaure, où le sel s’obtient par industrie, il s’en forme tout naturellement des

    ou de novembre. Dans certaines années, cette cristallisation ne dure pas si longtemps : tout dépend des pluies plus ou moins abondantes…

    L’eau évaporée au point requis, à mesure qu’on l’élève par les seaux des puits à roue, se cristallise aux parois de ces seaux, surtout si le soleil est ardent et si le vent du nord règne ; on est alors oblige d’y faire passer l’eau des étangs, ou de détacher deux fois par jour ces cristallisations, pour qu’elles ne remplissent pas toute la capacité du seau ; mais ce dernier travail serait trop pénible, et on préfère la première manœuvre. On sait que le sel marin a la propriété de grimper dès qu’on lui présente quelque corps pendant qu’il cristallise ; c’est à cette propriété que sont dues ces cristallisations auxquelles les ouvriers donnent toutes sortes de figures, comme de lacs d’amour, de crucifix, d’étoiles, d’arbres, etc… Elles sont formées à l’aide de morceaux de bois auxquels le sel s’attache, en sorte qu’il prend la figure qu’on a donnée à ces morceaux de bois : toutes ces cristallisations sont des amas de cubes très réguliers et d’une grosseur très considérable…

    On tire de l’écume qui surnage les eaux salées que l’on fait passer aux tables un sel qui est friable et très blanc, et que l’on emploie à l’usage des salières dont on se sert pour la table ; mais ce sel est plus amer que l’autre, parce qu’il contient du sel de Glauber et du sel marin à base terreuse… Ce sel de Glauber se trouve en quantité dans l’eau de la mer que l’on puise sur nos côtes… Nous trouvions principalement le sel de Glauber à la partie inférieure de la cristallisation ou de la masse totale des deux sels cristallisés : la raison en est que le sel de Glauber, étant très soluble dans une moindre quantité d’eau que le sel marin, est entraîné au-dessous de ce dernier sel par la dernière partie de l’eau qui reste avant l’entière dissipation. C’est par la même raison qu’on ne voit pas un atome de sel de Glauber dans ces belles cristallisations que le sel forme en grimpant, ni dans toutes les croûtes salines qui s’attachent aux puits à roue, etc… C’est ce sel de Glauber et le sel marin à base terreuse qui donnent de l’amertume au sel nouvellement fabriqué, et qui s’en séparent ensuite, parce qu’ils sont très solubles : lorsque le sel est pendant quelques années conservé en tas avant d’être mis dans les greniers du roi, il en est meilleur et plus propre à l’usage de nos cuisines…

    Au moyen de ce que le sel de Pécais reste pendant trois, quatre ou cinq ans rassemblé en monceaux avant d’être vendu aux fermiers du roi, il se sépare de tout son sel de Glauber et du sel marin à base terreuse, et devient enfin le sel le meilleur, le plus salant, le moins amer du royaume, et peut-être de l’Europe ; il est encore le plus dur, le plus beau, et celui qui est formé en plus gros cristaux bien compacts et bien secs : par là les surfaces qu’il présente à l’air étant les plus petites possibles, il est très peu sujet à l’influence de son humidité, tandis que les sels en neige qu’on tire par une forte évaporation sur le feu, soit de l’eau de la mer, soit des puits salants, comme en Franche-Comté, en Lorraine, etc., sont au contraire très exposés, par leur état de corps rare, par la multiplication de leurs surfaces, à être pénétrés par l’humidité de l’air dont le sel marin se charge facilement ; ces sels formés sur le feu contiennent d’ailleurs tout leur sel de Glauber et beaucoup de sel marin à base terreuse, ou du moins une bonne partie ; celui de Bretagne et de Normandie les contient dans la même proportion où ils sont dans l’eau de la mer, car on y évapore jusqu’à dessiccation ; et celui de Franche-Comté et de Lorraine en contient une partie, quoiqu’on enlève le sel avant que toute la liqueur soit consumée sur les poêles…

    Il faut au surplus que les ouvriers qui fabriquent le sel à Pécais prennent garde que les tables ne manquent jamais d’eau pendant tout le temps de sa saunaison, parce que, selon eux, le sel s’échaufferait et serait difficile à battre ou à laver. Mémoires de M. Montel, dans ceux de l’Académie des sciences, année 1763, p. 441 et suiv.