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fait à Pécais qu’une récolte de sel chaque année, et le temps nécessaire à l’évaporation est de quatre à cinq mois, depuis le commencement de mai jusqu’à la fin de septembre.

Il y a de même des marais salants en Provence, dans lesquels on fait quelquefois deux récoltes chaque année, parce que la chaleur et la sécheresse de l’été y sont plus grandes ; et, comme la mer Méditerranée n’a ni flux ni reflux, il y a plus de sûreté et moins d’inconvénient à établir des marais salants dans son voisinage que dans celui de l’océan. Les

    ne fait entrer qu’environ un pied et demi d’eau sur le terrain, et comme il est imprégné de sel depuis plusieurs siècles, l’eau, à force de rouler dessus, se charge d’une plus grande quantité de sel… L’eau évaporée par la chaleur du soleil produit à sa surface une pellicule, et lorsqu’elle est prête à former le sel, elle paraît quelquefois rouge ou de couleur de rose, quand on la regarde à une certaine distance, et d’autres fois claire et limpide ; mais les ouvriers en jugent par une épreuve fort simple : ils plongent la main dans l’eau salée, et tout de suite ils la présentent à l’air ; s’il se forme dans l’instant, sur la surface de la peau, de petits cristaux et une légère croûte saline, ils jugent que l’eau est au point requis, et qu’il faut la conduire aux réservoirs, ensuite aux puits à roue, et enfin dans les tables pour les faire cristalliser… Les puits à roue n’ont ordinairement que cinq à six pieds de profondeur… Les tables ont des rebords formés de terre, pour y retenir huit à douze lignes d’eau que l’on y fait entrer toutes les vingt-quatre heures, et on ne lève du sel qu’après avoir réitéré l’introduction de l’eau sur les tables une vingtaine de fois, c’est-à-dire au bout de vingt jours : si la cristallisation a bien réussi, il reste après ce temps une épaisseur de sel d’environ trois pouces ou de deux pouces et demi… Ce sel est quelquefois si dur, surtout lorsque les vents du nord ont régné pendant l’évaporation, qu’il faut se servir de pelles de fer pour le détacher… On enlève ce sel ainsi formé sur les tables, et on en forme des monceaux en forme de pyramides, qui contiennent chacun environ quatre-vingts ou quatre-vingt-six minots de sel, du poids de cent livres par minot ; au bout de vingt-quatre heures, on rassemble tous ces petits monceaux de sel, et on en forme, sur un terrain élevé, des amas qui ont quelquefois cent toises de long, onze de large et cinq de hauteur, que l’on couvre ensuite de paille ou de roseau, en attendant qu’on puisse les faire transporter sur les grands entrepôts de vente, où l’on charge le sel pour l’approvisionnement des greniers du roi…

    On ne fait chaque année, dans toutes les salines de Pécais, qu’une seule récolte ; dans les salines de Provence, à ce qu’on m’a assuré, on fait quelquefois une seconde récolte de sel qui est fort inférieur à celui de la première.

    Si dans l’espace de quatre mois, que dure toute la manœuvre de l’opération, il survient des pluies fréquentes, des vents de mer ou des orages, on fait une mauvaise récolte ; il faudrait toujours, pour bien réussir, un soleil ardent et un vent du nord ou nord-ouest… Les inondations du Rhône, qui répandent des eaux douces sur le terrain des salines, font quelquefois perdre la récolte d’une année…

    Suivant le règlement des gabelles, on doit ne laisser le sel entas que pendant une année, pour lui faire perdre cette amertume et cette âcreté qu’on lui trouve lorsqu’il est récemment fabriqué ; mais il y reste bien plus longtemps, car les propriétaires ne le vendent ordinairement aux fermiers généraux qu’au bout de trois, quatre et quelquefois cinq ans ; au bout de ce temps, il est si dur qu’on ne peut le détacher qu’avec des pics de fer.

    Dans les bonnes récoltes, on tire des salines de Pécais jusqu’à cinq cent treize mille minots de sel… On le vend au roi sur le pied de quarante-deux livres quinze sous le gros muid (c’est-à-dire cinq sous le minot, pesant cent livres)… Elles produisent au roi environ sept à huit millions par an…

    Les bords des canaux qui conduisent l’eau dans les puits à roue sont couverts de belles cristallisations de sel, que l’on est obligé de détacher de temps en temps, parce qu’avec le temps elles intercepteraient le passage de l’eau… La surface de l’eau qui coule au milieu du canal est couverte d’une pellicule mince, qui est un indice pour connaître quand une dissolution de certains sels doit être mise à cristalliser…

    La plaine de sel que l’on voit sur les compartiments, et dont la blancheur se fait apercevoir de loin, ne commence à paraître que dans les premiers jours de juin, temps où les eaux sont déjà prêtes à être conduites dans les puits à roue, et se soutient jusqu’au mois d’octobre