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recueillir. En Abyssinie, il y a de vastes plaines toutes couvertes de sel, et l’on y connaît aussi des mines de sel gemme[1] ; il s’en trouve de même aux îles du cap Vert[2], au cap

    un goût d’amertume et de salure, et que les Hollandais nomment ces pâturages terres saumaches ; et ce fait seul serait suffisant pour expliquer la formation du sel dans les terrains du cap de Bonne-Espérance.

    Enfin, pour prouver que l’air est chargé de particules salsugineuses au Cap, M. Kolbe rapporte une expérience qui a été faite par un de ses amis, dont il résulte que si l’on reçoit dans un vaisseau les vents qui soufflent au Cap, il se forme sur les parois de ce vaisseau de petites gouttes qui, augmentant peu à peu, le remplissent en entier ; que cette eau qui, d’abord, ne paraît pas être salée, étant exposée dans un endroit où la chaleur et l’air puissent agir en même temps sur l’eau et sur le vaisseau, elle devient dans l’espace de trois ou quatre heures salsugineuse et blanchâtre, paraît comme mélangée de vert de mer et de bleu céleste, et laisse un sédiment qui prend la forme de gelée.

    Lorsque après cela on couvre légèrement le vaisseau et qu’on le met sur un fourneau, cette eau devient d’abord jaune, ensuite rougeâtre, et enfin elle prend une couleur d’un rouge écarlate ; il s’y forme après cela divers corps de différentes figures : les parties nitreuses sont sexangulaires, cannelées et oblongues, les vitrioliques (ou plutôt de sel marin) ont la figure cubique, et les urinaires prennent une figure sexangulaire, ronde et étoilée. On démêle aussi les parties de sel ; les unes sont jaunes, les autres blanches et brillantes, etc… Telle est, ajoute M. Kolbe, l’expérience que mon correspondant a faite et qu’il a réitérée soixante-dix fois et toujours avec le même succès ; toujours il a retiré de cette eau aérienne les trois principes, etc. Description du cap de Bonne-Espérance ; Amsterdam, 1741, partie ii, p. 110, 128, 195 et jusqu’à 202. — L’on peut dire que partout l’air des environs de la mer est salé à peu près comme au Cap, et cet air salé, pompé par la végétation, donne un goût salin à ses productions. Il y a des raisins et d’autres fruits salés : les différentes plantes dont on fait le varech le sont plus ou moins suivant les différents parages. Celles qui sont le plus proches des embouchures des fleuves le sont moins que celles qui croissent sur les écueils des hautes mers.

  1. Le P. Lobo dit qu’en partant du port de Baylno sur la mer Rouge, il traversa de grandes plaines de sel qui aboutissent aux montagnes de Duan, par lesquelles l’Abyssinie est séparée du pays des Galles et des Mores… Le même auteur dit que la principale monnaie des Abyssins est le sel qu’on donne par morceaux de la longueur d’une palme, larges et épais de quatre doigts : chacun en porte un petit morceau dans sa poche ; lorsque deux amis se rencontrent, ils tirent leurs petits morceaux de sel et se le donnent à lécher l’un à l’autre. Bibliothèque raisonnée, t. Ier, p. 56 et 58. — On se sert en Éthiopie de sel de roche pour la petite monnaie : il est blanc comme la neige, et dur comme la pierre ; on le tire de la montagne Lafla, et on le porte dans les magasins de l’empereur, où on le forme en tablettes qu’on appelle amouly, ou en demi-tablettes qu’on nomme courman. Chaque tablette est longue d’un pied, large et épaisse de trois pouces : dix de ces tablettes valent trois livres de France. On le rompt selon le paiement qu’on a à faire, et on se sert de ce sel également pour la monnaie et pour l’usage domestique. M. Poncet, suite des Lettres édifiantes, Paris, 1704, quatrième Recueil, p. 329.
  2. L’île de Sal, l’une de celles du cap Vert, tire son nom de la grande quantité de sel qui s’y congèle naturellement, toute l’île étant pleine de marais salants ; le terroir est fort stérile, ne produisant aucun arbre, etc. Nouveau voyage autour du monde, par Dampier ; Rouen, 1715, t. Ier, p. 92. — Il y a des mines de sel dans l’île de Buona-Vista, l’une des îles du cap Vert ; on en charge des vaisseaux, et l’on en conduit dans la Baltique. Histoire générale des voyages, t. II, p. 293. — L’île de Mai est la plus célèbre des îles du cap Vert par son sel, que les Anglais chargent tous les ans dans leurs vaisseaux. Barbot assure que cette île pourrait en fournir tous les ans la cargaison de mille vaisseaux. Ce sel se charge dans des espèces de marais salants où les eaux de la mer sont introduites dans le temps des marées vives, par de petits aqueducs pratiqués dans le banc de sable : ceux qui le viennent charger le prennent à mesure qu’il se forme, et le mettent en tas dans quelques endroits secs avant que l’on y introduise de l’eau nouvelle. Dans cet étang, le sel ne commence à se